" Il faut être endimanché, et Les Romains de la décadence de Couture est un exemple parfait de peinture endimanchée."
Dans son cours au Collège de France consacré à Manet, Pierre Bourdieu évoque l'hypothèse formulée par Albert Boime dans The Academy and French Painting in the nineteenth century (1971), selon laquelle " il n'y a pas eu vraiment de révolution impressionniste dans la mesure où celle-ci aurait consisté essentiellement à constituer en oeuvres achevées les esquisses des peintres académiques " (p.203).
Bourdieu explicite alors la distinction entre l'impression et l'invention :
" Pour la tradition académique, l'esquisse se distinguait du tableau comme l'impression, qui convient à la phase première, privée, du travail artistique, se distingue de l'invention, travail de la réflexion et de l'intelligence, accompli dans l'obéissance aux règles et appuyé sur la recherche érudite, notamment historique. Autrement dit, il y a deux phases : l'impression, qui est destinée à rester dans le secret de l'atelier, et l'invention qui est le travail proprement artistique."
Bourdieu finit par reprendre à son compte la définition en l'appliquant au travail intellectuel :
" C'est quelque chose que j'ai observé sur moi-même mais aussi sur des personnes avec qui j'ai pu travailler : si la lecture des épreuves de livres, par exemple, est une épreuve très angoissante, c'est qu'elle marque cette ligne invisible où la chose cesse d'être privée. Et de même pour la lecture du livre quand on le fait (c'est très dur), mais le livre achevé, c'est encore plus terrifiant parce qu'il a cette espèce de fini qui lui donne un côté fatal - les erreurs sont là, elles ne peuvent pas être corrigées, on les voit tout de suite alors qu'on ne les avait pas vues avant, etc." (p.205)
Je me dis alors que l'auteur de blog a quelque chose de l'impressionniste ; loin d'être terrifié à l'idée qu'il peut exposer publiquement ses insuffisances, il prend plaisir à communiquer l'inachevé. Il soumet sans les relire ses épreuves à l'épreuve du public (à supposer que son public ne soit pas seulement celui qu'il s'imagine avoir... Parions que les blogs sont zappés, copiés-collés, malmenés, mal compris mais bien peu lus !)
Il faudrait cependant ici différencier les blogs de recherche des blogs ordinaires : on pourrait comparer le blogger de recherche à un jeune artiste, contemporain de Manet, qui présenterait ses esquisses au public pour que par ses critiques il lui permette d'inventer et d'équivaloir les Couture, Cabanel, Bouguereau, grands maîtres de l'art pompier.
Terminons avec la figure du blogger honteux, je veux dire le grand maître qui à ses yeux se laisse aller :
" (...) Couture, le maître de Manet (...) avait une liberté critique particulière à l'égard de l'institution académique. Il portait souvent ses recherches vers des objets ou des choses proches de ceux des artistes indépendants. Par exemple, en matière de paysage ou de portrait, il accordait beaucoup d'attention à la fraîcheur et à la spontanéité de la première impression, et, bien que ces esquisses soient parfois troublantes, il ne fut jamais capable - selon Boime - de s'abandonner entièrement à l'improvisation dans ses oeuvres définitives, et il fut toujours freiné par le besoin de moraliser. Prisonnier de l'esthétique du fini qui s'imposait à lui quand il arrivait à la phase finale de son travail, en un sens - du point de vue des impressionniste -, il gâchait son travail en le finissant à l'extrême ; il identifiait la liberté à la première esquisse, mais il était désorienté lorsqu'il fallait la projeter à grande échelle pour en faire l'oeuvre publique, officielle." (p.204)
 "Dans le travail que j'avais fait il y a quelques années sur la photographie, j'avais montré que les gens ne se laissent pas photographier au naturel et veulent aussitôt prendre la pose, construire une image d'eux-mêmes, mettre leurs plus beaux vêtements, se rendre présentables"