mercredi 15 mai 2019

Greguería n° 38, cioranienne.


" Lo más terrible de nuestro libro de direcciones es que sacarán de él las señas de nuestros amigos para enviarles nuestra propia esquela de defunción."
" Le plus terrible de notre carnet d'adresses, c'est qu'on en tirera les coordonnées de nos amis pour leur envoyer le faire-part de notre propre décès."

mardi 14 mai 2019

Greguería n° 37

" El aparato más sabio del mundo es el de la cascada de agua para el retrete, con cuya cadena en la mano todos somos Moisés milagrosos."
" Le mécanisme le plus sage au monde est celui de la chasse d'eau des toilettes : la poignée en main, nous sommes tous des Moïse, faiseurs de miracles."

Commentaires

1. Le mercredi 15 mai 2019, 08:05 par gerardgrig
En termes heideggeriens, on dira que le geste de tirer la chasse sauve le Dasein, en réintégrant la religion dans le monde de la technique.
2. Le jeudi 16 mai 2019, 17:32 par Philalèthe
D'après Aristote, Héraclite a encouragé des visiteurs à le rejoindre dans sa cuisine en leur disant : " Ici aussi il y a des dieux." Mais certains savants ont jugé bon de traduire  ἰπνὀς par latrine, Aristophane l'employant dans ce sens. Donc le divin n'attend peut-être pas la chasse pour se manifester.

lundi 13 mai 2019

Greguería n° 36

" Libro : hojaldre de ideas."
" Livre : feuilleté d' idées."
Minceur grave du livre électronique de n'être plus qu'idées sans feuilleté.

Commentaires

1. Le mardi 14 mai 2019, 16:19 par gerardgrig
Il est inhabituel de prendre le livre pour une métaphore de la pâtisserie : une pâte feuilletée. Mais on évite de penser à la poussière, quand on dévore des livres. Le feuilleté, c'est aussi l'atlas avec ses cartes, pour la topologie de l'ouvert et du recouvrement. En géométrie différentielle, on parle également du feuilletage, mais de celui des variétés en sous-variétés, et il s'agit plutôt de recourber les pages du livre pour les corner. En outre, une œuvre elle-même peut être un espace topologique de revêtement de lieux portés par des plans différents, comme la "Recherche du temps perdu" de Proust. Voir le surprenant "La Mathesis de Marcel Proust" de Jean-Claude Dumoncel, qui développe l'étude du rapport entre Proust et Grothendieck, étude qui avait été initiée par Antoine Compagnon et le mathématicien Alain Connes. Soit dit en passant, Alain Connes est passé à la littérature, comme Cédric Villani. On n'ira pas jusqu'à dire que les matheux se barbent, et qu'ils finissent tous par faire de la littérature, de la philosophie ou de la politique. Si l'on reste dans la gastronomie, il y a un livre à lire d'urgence, mais ce serait plutôt un pavé au roquefort : "Les Vices du savoir".
2. Le mercredi 15 mai 2019, 21:47 par gerardgrig
J'ai trouvé "Les vices du savoir" au Quartier Latin. Je crois qu' il s'agit d'un feuilleté. Le livre est une véritable somme. Et quelle audace ! Il fallait oser l'éthique seconde de la croyance, avec les tableaux des vertus et des vices intellectuels, après l'éthique première évidentialiste. L'éthique seconde corrige aussi les excès de rationalité. Entretemps, le chapitre sur l'agir épistémique, et le chapitre épineux sur la croyance religieuse passée à la moulinette évidentialiste, nous redonnent un peu de courage dans le fatalisme ambiant. Après un entracte salutaire derrière le poêle de Bavière de Descartes, on aborde enfin la dialectique transcendantale, tant attendue, des paradigmes des vices du savoir, avec la triade curiosité-futilité-bêtise. La toute fin, qui aborde les vices politiques, dont l'injustice épistémique qui touche l'Université alignée sur la loi de l'entreprise et du marché, est très forte.
3. Le jeudi 16 mai 2019, 17:43 par Philalethe
Je vais bientôt le recevoir…
L'auteur me l'avait décrit comme "un manuel de survie intellectuelle".
Mais ce manuel-là, avec tant de feuillets, peut-on l'avoir en main, comme un poignard pour nous protéger des vices épistémiques, eux qui nous assaillent comme des nuées permanentes de moustiques ?
4. Le jeudi 16 mai 2019, 23:13 par gerardgrig
L'évidentialisme, qui donne un noyau épistémique à l'éthique, n'est pas un pessimisme. Il repose sur l'autonomie du sujet et il s'oppose au pragmatisme des croyances. Certes, on paie le prix de ses croyances, quelles qu'elles soient, mais on en est toujours responsable, dans la mesure où l'on doit y regarder à deux fois, comme on dit familièrement, avant de croire. C'est pourquoi l'agir épistémique est un néo-kantisme assumé. Dans les paradigmes des vices du savoir, l'évidentialisme convient à une forme supérieure de la bêtise, comme la sottise. Quand on descend jusqu'à la bêtise des légumes et des fruits, pour être cohérent on parie sur le panpsychisme.

dimanche 12 mai 2019

Greguería n° 35

" Nos pasamos la vida haciendo una miniatura del cosmos, y al final se nos cae y se nos rompe."
" Nous passons notre vie à faire une miniature du cosmos, et à la fin elle nous échappe et se casse."

samedi 11 mai 2019

Greguería n° 34


calavera bailarina,1939. Huile sur toile .Collection Merz .
" "¡Qué hermosos ojos negros!" es el piropo que está reclamando la calavera. "
" " Quels beaux yeux noirs ! ", c'est le compliment que réclame la tête de mort."

Commentaires

1. Le dimanche 12 mai 2019, 14:53 par gerardgrig
Le rapprochement de la gregueria avec les images doubles de Dali, auquel Ramón consacra un livre, était inévitable. Cette combinaison d'images s'associe idéalement avec la putréfaction et la scatologie comme fond des choses, ce qui est aussi une forme de dédoublement. On ne peut pas voir les deux images en même temps, et il y a un battement entre elles, propice à l'inversion et à l'égalisation des conditions : la tête de mort semble appeler le même compliment, pour ses yeux noirs, que la ballerine, dans une danse macabre. On pense aussi au "Viva la muerte !" qui serait au fond de l'âme espagnole, si elle existe. On a surtout le souvenir que ce cri fut récupéré par les fascistes espagnols, mais il traduit un sentiment tragique de la vie, un "amor fati". Quant aux images doubles de Dali associées à la mort, elle semblent avoir eu une influence capitale sur lui. La psychanalyse s'en mêle et donne un rôle symbolique à la Mère. Dali avait un frère mort avant lui, qui s'appelait aussi Salvador. Comme Mark Twain avec son jumeau mort, il n'a jamais su s'il était lui ou son frère.

vendredi 10 mai 2019

Greguería n° 33

" Las teclas negras son el luto que guarda el piano por los pianistas muertos."
" Les touches noires, c'est le deuil des pianistes morts, que porte le piano."

jeudi 9 mai 2019

Greguería n° 32

C'est une greguería tardive, écrite entre 1952 et 1955, publiée dans le Diario póstumo (Barcelona, Plaza y Janés, 1972) :
" La vida es asi : "¿Se ha acomodado bien ? Pues entonces ¡fuera!" "
" La vie est comme ça : " Vous vous êtes mis à l'aise ? Bon, alors dehors ! "

mercredi 8 mai 2019

Greguería n° 31

" La pelicula comienza : la vanidad humana se oculta un rato en el túnel de la sala."
" Le film commence : la vanité humaine se cache un moment dans le tunnel de la salle."

mardi 7 mai 2019

Ombre réelle ou ombre imaginaire ? Sur la gallina ciega de Goya.

San Francisco y el moribundo est un tableau de Goya peint en 1787, on peut le voir dans la cathédrale de Valencia.
Jean Starobinski dans Goya et 1789 m'apprend que cette oeuvre " est la première apparition de monstres et de personnages hallucinés dans l'oeuvre de Goya." (La beauté du monde, Quarto, 2016, p.1035). Dans cet article publié en 1984 dans La Revista de Occidente, il est attentif à trouver des signes avant-coureurs de la période noire dans l'oeuvre lumineuse de Goya. L'oeuvre qu'il choisit principalement comme exemple est La gallina ciega (Le jeu de collin-maillard), peinte en 1788.
Voici le commentaire de Starobinski :
" Dans La gallina ciega, au rythme si séduisant, nous découvrons la transposition ludique d'un supplice, et il semble que la femme agenouillée qui s'incline en arrière pour ne pas être touchée, fuie sa propre identité. Un autre supplice simulé est celui qu'endure le pantin : pendant que les jeunes filles souriantes - de charmantes sorcières -
forment une guirlande de leurs bras, le pantin oblique, projeté vers le haut, offre l'aspect du désespoir. Les torsions, la maladresse, la douloureuse inertie du pantin, nous révèlent l'étrange vie de la matière, son aspect comique et son pouvoir d'épouvante. Par l'animation qui s'empare de toute la créature rendue à sa fatalité d'objet, la scène frivole implique une secrète frayeur. " (p. 1036)
Est-ce moi, l' aveugle ? Pas moyen de voir dans cette oeuvre, qui devait servir de carton de tapisserie, l' " ombre ", l' " élément inquiétant dissimulé ", l' " impalpable atmosphère " qui deviendra " un peuple de monstres "... Je ne comprends vraiment pas pourquoi Starobinski évoque " les ténèbres métaphysiques de La Gallina Ciega ".
Ne dois-je pas sur ce point plutôt me rapporter à ce que Ramón Gomez de la Serna écrit à propos des cartons de tapisserie dans son Goya (1928) :
" Un tapiz es una primavera que se perpetúa engarzada a una bandera." (" Une tapisserie est un printemps qui se perpétue, inséré dans un drapeau.") ?
Ce qu'écrit Ramón sur La gallina ciega me paraît, bien que léger, plus fidèle à l'oeuvre que les lignes exagérément inquiétantes de Starobinski :
" Goya representa el juego de la gallina ciega en un meandro circular frente al Guadarrama en uno de sus espirituales valles, todos sus personajes en movimiento de corro alrededor del que se ha quedado en el centro tocando y eligiendo con una cuchara de palo al que ha de adivinar quién es y que entonces no podía agarrar con la mano por pudicia, no fuese a ser una dama, porque asi era difícil adivinar quién era el cogido o la cogida y el juego era mas juego de azar. " (Goya in Obras selectas, Carrogio, Barcelona, 1970, p. 612)
" Goya représente le jeu de colin-maillard, au bord d'un méandre circulaire du Guadarrama, dans une de ses spirituelles vallées, tous les personnages en ronde autour de celui qui, resté au centre, touche et choisit avec une cuillère en bois quelqu'un dont il doit deviner l'identité et qu'il ne pouvait alors pas saisir par la main par pudeur, au cas où ça aurait été une dame, aussi c'était difficile de deviner qui était le prisonnier ou la prisonnière et le jeu était plutôt un jeu de hasard."

Commentaires

1. Le mercredi 8 mai 2019, 21:46 par gerardgrig
Starobinski semble être dans le vrai pour "Le Pantin", qui a inspiré "La Femme et le Pantin" a Pierre Louÿs, à une époque où les Décadents français lisaient Sacher-Masoch sous le manteau. Pour le colin-maillard, jeu mondain égrillard où l'on se touche par hasard pour provoquer des rencontres entre adultes, mais qui est teinté de cruauté chez les enfants, l'interprétation de Starobinski est assez étrange. Elle est trop culturelle, car elle se réfère à la fin terrible du guerrier Colin-Maillard au combat, aveuglé par un archer et sadisé par ses ennemis, qui a donné son nom au jeu. Ou au jeu de la poule aveugle (gallina ciega), jeu à base de cruauté sur les animaux, comme la corrida. Starobinski, sage psychocritique resté fidèle à Charles Mauron, avait aussi publié les "Anagrammes" de Saussure. Il profitait de Goya pour rendre surtout hommage au signifiant.
2. Le jeudi 9 mai 2019, 03:19 par Philalethe
Starobinski nous a-t-il offert un symptôme de cécité culturelle ( aveuglement causé par un excès de culture ) ?
Comme vous le dites généreusement  : " rendre hommage au signifiant " ! 
On peut presque en tirer cette question : une interprétation poétique peut-elle être vraie ?

lundi 6 mai 2019

Greguería n° 30, dadaïste.

" En resumidas cuentas, el Pensador de Rodin será el hombre que más tiempo ha estado sentado en el retrete."
" Tout compte fait, le Penseur de Rodin sera l'homme qui a été le plus longtemps assis sur les toilettes."

Commentaires

1. Le mercredi 8 mai 2019, 18:46 par gerardgrig
On admire l'insoutenable légèreté et la désinvolture de Ramón, dans la tradition du baroque espagnol. On pense aussi à la satire des philosophes dans l'Antiquité : Socrate assis dans une corbeille suspendue chez Aristophane, Thalès chutant dans un puits. Il était louable de ramener, avec le simple bon sens, les philosophes à la réalité. En langue vulgaire, on dit qu'ils ne se sentent plus pisser. Ramón ramène le penseur de Rodin à la posture de l'homme aux toilettes. Il y a peut-être une allusion à Duchamp. Mais Ramón va plus loin, en se payant le luxe d'être apolitique, et de passer objectivement pour un homme de droite, pour le plaisir scandaleux d'un bon mot. Il ne pouvait pas ignorer que le Penseur de Rodin avait été une affaire politique, et bien française. Le Penseur avait été installé devant le Panthéon, comme symbole de la démocratie. C'est un homme du peuple qui va changer la société par la puissance de sa pensée. La République était encore fragile, et l'intelligentsia allait se donner Charles Maurras comme penseur politique, si bien que le Penseur a vite été dégagé. Néanmoins, la plaisanterie de Ramón a le mérite de sortir le Penseur du cadre étroit de la politique française, et de rappeler que l'Art est universel. Il est vrai qu'en matière de politique, Ramón a cherché un modus vivendi avec le franquisme comme Dali, autre apolitique. Mais les apolitiques de l'époque avaient le mérite de ne pas choisir entre la peste et le choléra.
2. Le samedi 11 mai 2019, 14:31 par Arnaud
Game of trônes ?
Encore une occasion de recaser l'une des plus célèbres citations de Montaigne:
"Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes assis que sus nostre cul." Essais, III, XIII.
3. Le dimanche 12 mai 2019, 12:42 par gerardgrig
Certes, mais Ramón a toujours l'art de nous dérouter. Il semble reprendre les critiques des monarchistes français adressé au Penseur de Rodin trônant devant le Panthéon : il est lourd, laid, gros, prolétaire, il fait caca. Or Ramón loue le Penseur pour son record absolu de longévité sur le trou des toilettes. Il lui adresse un compliment vache, ce qui est une forme subtile de valorisation, dans une vision carnavalesque du monde, où la seule règle du jeu est d'être le meilleur dans son genre.