Le relativisme me semble être la position spontanée de nombreux lycéens : il est aléthique (est vrai ce qui paraît vrai), éthique (est bien ce qui paraît bien), esthétique (est beau ce qui paraît beau).
Des trois c'est le relativisme esthétique qui semble le plus justifié (par exemple par l'étendue des désaccords concernant la valeur esthétique des oeuvres d'art). Aussi est-il utile de lire La beauté des choses (2013) de Sébastien Réhault. L'auteur y défend une forme prudente de réalisme esthétique : les propriétés esthétiques surviennent sur les propriétés physiques, elles existent à l'état de dispositions qui se manifestent si les choses qui les ont sont perçues dans les conditions adéquates, ce qui veut dire, entre autres, absence de préjugés, sensibilité fine, connaissance du type auquel appartient la chose, qu'il s'agisse d'une chose naturelle (une montagne) ou d'une chose artificielle (une peinture).
Mais lucide, à la fin de son ouvrage, Sébastien Réhault reconnaît que la position qu'il vient de défendre n'est pas forte au point de laisser sans voix les anti-réalistes et donc les promoteurs du relativisme esthétique. Dans la note 4 de la p.315, il va même jusqu'à reconnaître très honnêtement l'égalité de valeur des deux positions :
" Autrement dit, je fais la supposition que la probabilité du réalisme et celle de l'antiréalisme en esthétique sont toutes deux égales à 0,5 ."
C'est la raison pour laquelle le dernier chapitre de l'ouvrage est consacré à une défense pragmatique en faveur du réalisme. Il poursuit par là le but suivant : convaincre le lecteur qu'adopter le réalisme esthétique peut contribuer à " rendre notre vie esthétique, voire notre vie tout entière, meilleure ". Je retiens alors de ce qu'il écrit deux arguments ; le premier est celui de la culture humaniste :
" (...) Ce qu' il est convenu d'appeler la culture humaniste inclut notamment la connaissance de certaines oeuvres considérées comme des classiques ou des chefs-d'oeuvre, et qui se caractérisent principalement par leur degré d'achèvement esthétique. La capacité à apprécier la beauté joue un rôle majeur dans cette culture : elle est considérée comme un bien humain essentiel. Elle implique d'avoir un sens de la hiérarchie esthétique, dans la mesure où elle reconnaìt l'existence de faits esthétiques objectifs, dont la connaissance est nécessaire à l'accomplissement de "l'honnête homme" " (p. 318-319)
Repensons aux lycéens : pourquoi donc faire l'effort de connaître les chefs-d'oeuvre si être un chef-d'oeuvre, ce n'est que paraître un chef-d'oeuvre ?
Le second argument, que Réhault appelle l'argument de l'apprentissage. est le suivant :
" L'enseignement de disciplines telles que la littérature, la musique, les arts plastiques ou encore l'histoire de l'art, présuppose au moins implicitement l'acceptation d'une forme de réalisme esthétique. Sans cela, en effet, l'apprentissage parfois difficile de méthodes, de savoir-faire et de connaissances, que requièrent ces disciplines ne serait tout simplement pas possible. Cette hypothèse rejoint les remarques faites précédemment : dans le domaine esthétique, l'antiréalisme encourage plus sûrement le laxisme et le désintérêt. Dans le cas de de l'éducation artistique, cela devient carrément un obstacle." (p. 322)
Généralisons encore : l'enseignement des sciences comme de la philosophie présuppose l'acceptation du réalisme aléthique (il existe une vérité objective). Si plus aucune différence n'est faite entre ce qui vaut et semble valoir, ce qui est et ce qui semble être, alors on vit dans un monde où on apprend l'escalade à des jeunes gens persuadés que n'existent au fond nulle part des vrais murs sur lesquels grimper.