" Va maintenant et lis Archédème ; et puis si une souris fait du bruit en tombant, tu es mort." (III, 2, traduction Robert Muller, p.273)
Puis Épictète présente Crinis, philosophe célèbre du fait de s'être noyé dans un verre d'eau alors que par la pensée il comprenait les océans :
" La mort qui t'attend est du même genre que celle qui a emporté... comment s'appelait-il déjà ? Oui, Crinis. Lui aussi était fier de comprendre Archédème."
C'est le parfait anti-modèle de l'apprenti stoïcien : de Crinis à Sénèque, du pire à l'excellence.
Il est étrange que Christian Guérard ne dise pas un mot de cette mort ridicule pour le stoïcien. " Nous ne savons rien de précis concernant Crinis." écrit-il dans le Dictionnaire des philosophes antiques (volume II, p.511). Certes on ne peut pas assurer qu'il était disciple d' Archédème. Bien sûr aussi le texte d'Arrien lui attribue une mort indéterminée, mais elle est néanmoins dotée d' un sens très précis : elle signe l'échec d'une vie à se mettre en conformité avec les injonctions de la théorie morale.
Crinis était un logicien, comme Archédèmos de Tarse. "Archédème était encore beaucoup lu et commenté dans les cercles cultivés à l'époque d'Épictète." (ibid, volume I, p.332).
De l'ouvrage écrit par Crinis ne restent que quelques brefs enseignements rapportés par Diogène Laërce.
Ses leçons, si elles étaient vraies, le restent, malgré cette mort qui exemplifie l'impuissance à régler par la pensée la vie. Cette impuissance, manifestement Épictète la voyait comme accidentelle et donc supprimable. Il suffirait de la penser comme essentielle et indépassable pour qu'on lise la mort de Crinis à la lumière du texte de Pascal, avec le petit rien mortifère dans le rôle de la goutte d'eau :
" L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser ; une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer."
Logicien, Crinis a sans aucun doute travaillé à bien penser.