San Francisco y el moribundo est un tableau de Goya peint en 1787, on peut le voir dans la cathédrale de Valencia.
Jean Starobinski dans Goya et 1789 m'apprend que cette oeuvre " est la première apparition de monstres et de personnages hallucinés dans l'oeuvre de Goya." (La beauté du monde, Quarto, 2016, p.1035). Dans cet article publié en 1984 dans La Revista de Occidente, il est attentif à trouver des signes avant-coureurs de la période noire dans l'oeuvre lumineuse de Goya. L'oeuvre qu'il choisit principalement comme exemple est La gallina ciega (Le jeu de collin-maillard), peinte en 1788.
Voici le commentaire de Starobinski :
" Dans La gallina ciega, au rythme si séduisant, nous découvrons la transposition ludique d'un supplice, et il semble que la femme agenouillée qui s'incline en arrière pour ne pas être touchée, fuie sa propre identité. Un autre supplice simulé est celui qu'endure le pantin : pendant que les jeunes filles souriantes - de charmantes sorcières -
forment une guirlande de leurs bras, le pantin oblique, projeté vers le haut, offre l'aspect du désespoir. Les torsions, la maladresse, la douloureuse inertie du pantin, nous révèlent l'étrange vie de la matière, son aspect comique et son pouvoir d'épouvante. Par l'animation qui s'empare de toute la créature rendue à sa fatalité d'objet, la scène frivole implique une secrète frayeur. " (p. 1036)
Est-ce moi, l' aveugle ? Pas moyen de voir dans cette oeuvre, qui devait servir de carton de tapisserie, l' " ombre ", l' " élément inquiétant dissimulé ", l' " impalpable atmosphère " qui deviendra " un peuple de monstres "... Je ne comprends vraiment pas pourquoi Starobinski évoque " les ténèbres métaphysiques de La Gallina Ciega ".
Ne dois-je pas sur ce point plutôt me rapporter à ce que Ramón Gomez de la Serna écrit à propos des cartons de tapisserie dans son Goya (1928) :
" Un tapiz es una primavera que se perpetúa engarzada a una bandera." (" Une tapisserie est un printemps qui se perpétue, inséré dans un drapeau.") ?
Ce qu'écrit Ramón sur La gallina ciega me paraît, bien que léger, plus fidèle à l'oeuvre que les lignes exagérément inquiétantes de Starobinski :
" Goya representa el juego de la gallina ciega en un meandro circular frente al Guadarrama en uno de sus espirituales valles, todos sus personajes en movimiento de corro alrededor del que se ha quedado en el centro tocando y eligiendo con una cuchara de palo al que ha de adivinar quién es y que entonces no podía agarrar con la mano por pudicia, no fuese a ser una dama, porque asi era difícil adivinar quién era el cogido o la cogida y el juego era mas juego de azar. " (Goya in Obras selectas, Carrogio, Barcelona, 1970, p. 612)
" Goya représente le jeu de colin-maillard, au bord d'un méandre circulaire du Guadarrama, dans une de ses spirituelles vallées, tous les personnages en ronde autour de celui qui, resté au centre, touche et choisit avec une cuillère en bois quelqu'un dont il doit deviner l'identité et qu'il ne pouvait alors pas saisir par la main par pudeur, au cas où ça aurait été une dame, aussi c'était difficile de deviner qui était le prisonnier ou la prisonnière et le jeu était plutôt un jeu de hasard."
Commentaires
On peut se demander pourquoi Ramón cherche aussi à nous gâcher notre présent, en faisant d'une pierre deux coups. Il ne se donne même pas l'excuse de nous inquiéter dans une intention socratique. Si l'on cherche à épingler les greguerias "cioraniennes", comme la n° 38, on en trouvera beaucoup. Que cherche à faire Ramón, quand il nous fait entrevoir des abîmes, l'espace d'un instant ? Quand il s'amuse à nous retirer le tapis sous les pieds ? S'il arrête de voir les vivants déjà morts, ou de les voir se voyant déjà morts, comme l'homme au sommet de la célébrité de la n°13, il s'amuse à prendre au sens propre les expressions figurées, dans le registre de l'humour noir, comme dans la gregueria n°26 où un type se noie pour noyer ses peines, en prenant l'expression au sérieux. Dans la vie quotidienne, il cherche les angles morts, les taches aveugles, comme l'éclipse de tasse n°23, qui ouvre une fenêtre cocasse sur le néant, pour nous avertir que bientôt on ne verra plus rien. Ou bien la pelle des châteaux de sable de l'enfant, qui appelle irrésistiblement la pelle du fossoyeur, pour former deux parenthèses symboliques qui abrègent une vie entière d'homme. Il y a aussi le registre inépuisable des vanités. Au n°21, la seule mort des grands hommes surpasse toute leur œuvre en richesse de significations. Néanmoins, avec la main du gisant de la femme, main glorieuse d'un corps mort que l'art ressuscite, Ramón semble donner aux vanités une signification religieuse imperceptible.
il indique une unité profonde de l'Espagne. Nous nous mouvons dans un univers de mains, mortes ou vivantes.
Songez juste que quand on rencontre un anglais, il ne va pas vous serrer la main,ni quand on lui dit au revoir.
le baiser, le becco, le beccotis, ne remplaceront pas la grâce de la main.
Julien Sorel aurait il baisé l'oreille de Madame de Rênal ?