samedi 22 janvier 2005

Le sage et l'ami torturé.

Soit deux personnages : un homme soumis à la torture et son ami qui en est témoin. Une interrogation : qui souffre ? La réponse ordinaire et vraie est sans doute : la victime souffre plus que l’ami. Ce dernier pourrait pourtant formuler une phrase du genre : « je souffre autant que mon ami. ». Il voudrait dire ainsi qu’il veut libérer la victime de la peine, autant que si c’était la sienne. Si la victime pouvait parler, elle dirait sans doute à son ami : « je comprends ce que tu veux dire mais j’ai plus mal que toi ». Si je rappelle ces réactions psychologiques ordinaires, c’est pour mieux transmettre l’étonnement que j’ai ressenti en lisant la sentence 56 :
« Le sage ne souffre pas plus s’il est torturé que si son ami est mis à la torture. »
Oui, on a bien lu : il est écrit « pas plus » et non « pas moins ». Epicure n’a pas non plus écrit : « que si autrui est torturé ». Dans ce dernier cas, le sage serait indifférent à ses souffrances, spectateur froid des tourments qu’on inflige à son corps. Bien sûr on pourrait ramener cette étrange situation à celle qu’on a évoquée au début : le sage souffre tellement quand son ami est torturé que quand il est lui-même torturé ce n’est pas pire. Mais alors la sentence est triviale (l’ami est un autre soi-même) et surtout elle est en dissonance avec la sentence 66 :
« Soyons en sympathie avec nos amis non en gémissant, mais en méditant. »
S’il s’agit non d’imiter l’ami dans la souffrance, mais de juger sa souffrance dans le cadre des vérités fondamentales de la doctrine, alors le sage quand il est torturé ne gémit pas plus, qu’il ne se plaint quand l’ami est torturé ; il médite sur sa propre souffrance physique de laquelle il parvient ainsi à se distancier autant que si c’était celle de son ami. Qu’est-ce qui est le plus stupéfiant dans cette perspective épicurienne ? Qu’elle recommande une posture stoïcienne au sage épicurien ou qu’elle mette un abîme entre la souffrance de mes amis et celle de ceux qui me sont étrangers ? Quelle que soit l’alternative choisie, comme Epicure me semble ici lointain !

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