Plusieurs choses surprennent quand on lit les sujets de philosophie du Bac 1943 à la lumière de ceux d'aujourd'hui.
Il y a d'abord ces sujets "techniques", pointus : par exemple les deux sujets des candidats scientifiques à Aix-Marseille :
" Le rôle des préperceptions dans la connaissance des objets extérieurs "
" L'instinct des animaux est-il un art essentiellement inconscient ?"
Ou ceux des littéraires de Rennes :
" L'association des idées est-elle un phénomène purement automatique ?"
" Comment percevons-nous la distance ?"
Ou de Grenoble à la session de septembre-octobre :
" Comment distinguons-nous notre propre corps des corps étrangers ? Comment arrivons-nous à localiser nos sensations internes, tactiles et kinesthésiques ?"
Bien sûr, il y avait aussi des sujets très généraux comme " L'esprit philosophique " ou " Être et valeur ", tous deux donnés à Lyon. Mais aujourd'hui on fera encore cette distinction entre sujets vastes et sujets étroits, même si la plupart du temps les sujets contemporains peuvent de fait être traités, certes médiocrement, en l'absence de la connaissance d'un cours précis portant sur le problème visé.
Ce qui retient le plus mon attention, ce sont ces sujets à n'en plus finir faits de questions ou de demandes successives :
Besançon (philo-lettres) : " Pouvez-vous, en vous appuyant sur des exemples, indiquer parmi les habitudes, celles qui détruisent la conscience et celles qui la fortifient ? Quelles différences y a-t-il entre ces deux sortes d'habitudes ? Quelle est l'utilité de chacune d'elles ?"
Mais c'est l'Académie de Poitiers qui excelle dans ce genre :
Série Philosophie-Lettres :
1) "Choisissez un exemple de travail intellectuel qui vous soit familier et essayez de le décrire depuis sa mise en train jusqu'à son achèvement. Notez la nature des activités mentales et des faits mentaux constatés, leurs organisations ébauchées, refondues, ou achevées, et signalez aussi ce dont vous pouvez croire qu'il vous échappe, les raisons que vous avez de soupçonner des lacunes dans votre observation, les moyens que vous avez de les combler sans trop d'arbitraire."
2) " Si, faute de papier et de cahiers de notes, vous en étiez réduit à mieux organiser votre mémoire, comment vous y prendriez-vous pour essayer de la rendre aussi bien meublée et aussi disponible que possible en tenant compte pour cela des enseignements de la psychologie ?"
3) " Si vous vouliez acquérir ou faire acquérir à quelqu'un une habitude physique complexe, comment procéderiez-vous ? indiquez les raisons tirées de la psychologie et de la psycho-physiologie qui vous conseilleraient ou vous déconseilleraient d'employer telle ou telle méthode selon la nature ou le degré de complexité de l'habitude que vous voudriez former."
Série Philosophie-Sciences :
1) "Prenez un exemple très simple de démonstration mathématique et essayez de montrer : 1- à quoi tient le sentiment de sécurité que vous éprouvez en cours et au terme de ladite démonstration ; 2- à quoi tient aussi l'impression que vous d'avoir appris par cette démonstration quelque chose de nouveau, bien que vous ayez utilisé tout au long du chemin des propositions que vous connaissiez déjà."
2) "Essayez de montrer comment un expérience dans les sciences de la nature physique ne suppose pas seulement des activités matérielles, mais encore et surtout de multiples activités spirituelles dont vous tenterez de décrire à l'occasion d'un exemple les interventions avant, pendant et après l'expérience."
Ce type de sujet, aujourd'hui strictement introuvable et depuis de nombreuses décennies, me laisse songeur : certes s'adressant directement à l'individualité de l'élève, il paraît requérir de lui une conscience de soi attentive à sa singularité, quasi phénoménologique d'inspiration mais en fait il commande plus ou moins clairement au candidat d'appliquer à lui-même la leçon du cours. Loin d'inviter l'élève à juger de la réalité et de la vérité, on lui demande de vérifier sur son cas personnel la valeur des thèses abstraites enseignées en classe. Je suis enclin à les voir comme un avatar scolaire de la dialectique platonicienne : le bon élève est celui qui saura personnellement découvrir à partir de lui-même ce que le correcteur-professeur juge vrai de l'homme en général.
Quant aux problèmes posés dans la série Philosophie-Lettres, ils relèvent principalement de la psychologie qui domine de manière écrasante et de la morale. Beaucoup d'épistémologie en revanche pour la série philosophe-sciences. Quelle que soit la série, quasi pas d'esthétique. De philosophie politique, aucune trace.