Dans la tradition ouverte par Aristote au début du premier livre de la Métaphysique, Descartes donne à la surprise, qu'il appelle admiration, une fonction essentielle dans l'apprentissage ; qui est apte à ressentir ce que Descartes juge être une des six passions basiques, est sensible au rare, au nouveau, à l'extraordinaire et a donc l'attention portée sur ce qu'il ne connaît pas encore de la réalité. Ainsi la surprise favorise-t-elle la connaissance ; dans l'article 75 des Passions de l'âme, intitulé À quoi sert particulièrement l'admiration, le philosophe écrit :
" Et on peut dire en particulier de l'admiration qu'elle est utile en ce qu'elle fait que nous apprenons et retenons en notre mémoire les choses que nous avons auparavant ignorées (...) Aussi voyons-nous que ceux qui n'ont aucune inclination naturelle à cette passion sont ordinairement fort ignorants." (La Pléiade, p.730)
Tout enseignant sait que l'auditoire est d'autant plus réceptif à sa leçon qu'il est en mesure d'être surpris.
Mais, encore fort aristotélicien sur ce point, Descartes souligne que l'excès d'admiration est aussi bien défavorable au développement de la connaissance. Si l'aptitude à la surprise n'est pas mise au service de la connaissance des phénomènes normaux, le risque est que l'esprit cherche sans fin et comme une fin en soi la répétition de la surprise :
" Et bien que que cette passion semble se diminuer par l'usage, à cause que plus on rencontre de choses rares qu'on admire, plus on s'accoutume à cesser de les admirer et à penser que toutes celles qui se peuvent présenter par après sont vulgaires, toutefois, lorsqu'elle est excessive et qu'elle fait qu'on arrête seulement son attention sur la première image des objets qui se sont présentés, sans en acquérir d'autre connaissance, elle laisse après soi une habitude qui dispose l'âme à s'arrêter en même façon sur tous les autres objets qui se présentent, pourvu qu'ils lui paraissent tant soit peu nouveaux. Et c'est ce qui fait durer la maladie de ceux qui sont aveuglement curieux, c'est-à-dire qui recherchent les raretés seulement pour les admirer et non point pour les connaître : car ils deviennent peu à peu si admiratifs, que des choses de nulle importance ne sont pas moins capables de les arrêter que celles dont la recherche est plus utile." (art.78)
Puisqu'on juge aujourd'hui généralement que l'école doit ressembler à la vie et que la vie ne paraît plaisante que par ses côtés extraordinaires, sans surprise les pédagogues cherchent fébrilement, voire anxieusement de quoi toujours surprendre leur auditoire. Mais, tel un goujon habile à ne savourer que le vermisseau et délaissant l'hameçon, l' élève souvent se plaît à aller de rare en rare, ignorant le savoir final.
Mais nous-mêmes, leurs professeurs, comme nous devons nous méfier de toutes les entreprises visant à nous surprendre... La passion de l'admiration est devenu un fonds de commerce.
Et quel blog ne se nourrit pas d'elle ?