On a peut-être à l'esprit ces quelques vers tirés du poème ouvrant Les Fleurs du malAu lecteur :
" Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégite
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !"
80 ans après, dans d'autres textes, le Diable a perdu son omniprésence impersonnelle (et si vraie ?). Mais il continue de dominer la scène. Je le retrouve dans ce texte d' Annick Duraffour et de Pierre-André Taguieff, tous deux soucieux de reconstituer la " passion idéologique que fut l'antisémitisme célinien " :
" Vision conspirationniste de l'histoire, où le Juif seul " tire les ficelles "- expression chère à Céline et fréquente dans la propagande antisémite. Ainsi Hitler déclare combattre non la classe ouvrière marxiste, mais les " judéo-marxistes qui tirent les ficelles ". Les auteurs citent alors un extrait du livre de Jean-Marie Domenach La propagande politique (1950) . Pendant l'Occupation, une affiche de la Propagandastaffel représentant un gros Juif fumant un cigare et tenant par des ficelles un groupe de marionnettes composé de banquiers de la City, de bolcheviks, d'hommes d'affaires américains." L'histoire est conçue comme un théâtre avec ses figurants, ses pantins, ses fantoches : une mise en scène trompeuse (...) " Le juif n'est pas tout mais il est le diable et c'est suffisant. Le Diable ne crée pas tous les vices mais il est capable d'engendrer un monde entièrement , totalement vicieux." (Céline, la race, le Juif, Fayard, 2017, p.294)
Les dernières lignes sont tirées d'une lettre de Céline à Lucien Combelle.
Peut-on aujourd'hui se passer de mentionner le diable tirant les ficelles ? Bien sûr l'expression ne pourra être que métaphorique. Et pas en politique, à coup sûr. Où alors ? Dans la folk psychology ? Mais athées ou non, ils nous presseront de voir le divin en nous, ou du moins le cher, le trop cher humain...
" Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encore brodé de leurs plaisant dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas, n'est pas assez hardie."