Le héros de l'histoire qui suit vient d'aller se coucher :
" Déjà (j') inclinais vers l'inconscience, quand un imperceptible bruit, net, cependant, comme une châtaigne tombant à terre, me tira de ma somnolence. Je n'y attachais d'autre importance dans le moment. Un second coup, après un instant de silence où seuls montaient et descendaient, en se croisant à des points fixes, les souffles de mes compagnons, me réveilla un peu plus (...) Pour vous dire le vrai (...), je n'en dormis de la nuit. Pendant six heures que dura mon supplice, je dénombrai 98 chocs, exactement semblables, toujours à de longs intervalles (...) J'eus au repas l'explication de mes terreurs nocturnes. On nous servit des escargots. L'hôtesse les avait déposés dans la chambre haute, sous un bahut : pour qu'ils ne s'enfuyassent pas, elle les avait tenus fermés dans un gros carton. Je compris tout (...) et vous me comprenez !! Ces admirables bêtes cherchaient comme nos philosophes une issue vers le ciel : ellle grimpaient aux parois et s'empilaient, coquille en bas, sous le couvercle du carton. La première se fixait ferme, et eût tenu sans les autres qui l'escaladant à renverse faisaient une grappe qui, cédant d'un coup, tombait en faisant le bruit qui m'intrigua si fort." (Louis Althusser, Journal de captivité, Stock/Imec, 1992, p. 173)
Platon avait raison : c'est seul que le prisonnier pouvait sortir de la caverne. Il fut bon aussi que les autres prisonniers le tuassent. Sans ce meurtre, l'histoire interminable de la philosophie aurait été possible.