lundi 25 mai 2020

Des livres à ne pas mettre entre toutes les mains.

Aujourd'hui où l'on est prêt à publier des livres visant à rendre la philosophie facile pour tous et donc entre autres des livres à consommer aux toilettes ou à la plage, par exemple, mais comme je sais la masse d'approximations, voire d'erreurs qui sont diffusées ainsi, c'est un grand plaisir de relire la fin de la préface  de Spinoza à son Traité des autorités théologiques et politiques :

" À ceux qui ne sont pas philosophes, je ne recommande point mon traité, car je n'ai aucune raison d'escompter qu'il puisse leur plaire. Je sais, en effet combien sont enracinés les préjugés, auxquels tant d'hommes s'adonnent sous couleur de religion. Et je sais qu'il n'est pas plus possible de délivrer la foule de la superstition, que de la crainte. L'entêtement lui tient lieu de constance et, loin de se laisser gouverner par la raison, elle s'abandonne à des élans impulsifs pour décerner ou louanges, ou blâmes. À lire ces pages, je n'invite donc ni la foule, ni ceux qui cèdent aux mêmes passions qu'elle. Je préférerais leur voir ignorer cet ouvrage, plutôt qu'exercer leur malveillance, en y appliquant une interprétation qui serait erronée, d'après leur coutume invariable." (Oeuvres complètes, La Pléiade, 1954, p. 616)

C'est une position épicurienne, pré-Aufklärung. Nietzsche la reprendra. Promue aujourd'hui, elle sera accusée d'être méprisante et égoïste.
Peut-être sera-t-on moins en butte aux attaques, si on précise, devoir de lucidité, que la foule, c'est aussi soi-même en tant qu'on ne se surveille pas intellectuellement et qu'il faut toujours résister à la foule en nous, si vivante, si spontanée, quelquefois si brilante, même.
Bien sûr cette résistance suppose qu'on peut opposer, quelquefois au moins, la vérité aux erreurs et aux mensonges et qu'à défaut de vérité, on peut se taire ou au moins présenter ses opinions comme telles.
Mais les affirmations claironnantes nous font croire si facilement que nous aussi, on peut participer à la victoire de ce qu'elles appellent quelquefois leur vérité. Et puis qu'on a le droit de se tromper...
Sauf qu'on a en réalité le devoir de ne pas se tromper et que face à nos erreurs la honte de les avoir faites devrait nous envahir. Mais qui est prêt aujourd'hui à donner de la valeur à la honte et au remords ? Une telle valer suppose  la réalité du défaut, ici du défaut intellectuel.
Mais combien alors hurleront au dogmatisme ?

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