Sur Lacydès, successeur d’Arcésilas et fondateur de la Nouvelle Académie, Laërce écrit bien peu. Je ne retiendrai qu’une anecdote, qu’il appelle « charmante » :
« Comme le roi Attale l’avait fait appeler, on raconte qu’il aurait répondu que les statues doivent se regarder de loin. » (IV 60)
Qu’ un philosophe refuse d’accourir quand un puissant le convoque, voilà qui est bien ordinaire et d’interprétation facile. En revanche la raison donnée pour justifier le refus est moins commune. Sous l’hommage pointe en effet l’accusation : vu de trop près, le détenteur du pouvoir n’impressionne plus. Le monarque de Pergame a même intérêt à ne pas presser de venir celui qui, bien que loin, l’a déjà percé à jour. Et qu’a-t-il aperçu sous la statue ? L’homme tout simplement. On dira que ce n’est guère difficile à voir mais c’est sans compter sur la force de ce que Pascal appellera l’imagination :
« La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur font que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ses accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leurs personnes d’avec leurs suites qu’on y voit d’ordinaire jointes ; et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume croit qu’il vient d’une force naturelle, et de là viennent ces mots : le caractère de la divinité est empreint sur son visage, etc. » (Pensée 23 Le Guern)
« Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné dans son superbe sérail de quarante mille janissaires. » (Pensée 41)
Peut-être un stoïcien aurait-il répondu à l’appel d’Attale, mais sachant lui aussi qu’il n’y avait qu’un homme sous le masque sculptural, cependant ne le disant pas, soucieux en effet de lui rendre les hommages conventionnels qu’il méritait, le réduisant à son humaine mesure seulement en son for intérieur et ce de manière d'autant plus pressante qu’il aurait senti, imminente en lui, la victoire de l’imagination.
Je pense alors à ce passage de Kant tiré de la Critique de la raison pratique :
« Fontenelle dit : « Devant un grand seigneur, je m’incline mais mon esprit ne s’incline pas. » Je puis ajouter : devant un homme de condition inférieure, roturière et commune, en qui je perçois une droiture de caractère portée à un degré que je ne reconnais pas à moi-même, mon esprit s’incline, que je le veuille ou non, et si haut que j’élève la tête pour ne pas lui laisser oublier ma supériorité. »
Mais, quoique on ne sache rien de ses doctrines, je doute que Lacydès ait eu la philosophie nécessaire pour distinguer si nettement le respect dû au rang de celui dû à la moralité. C’était la force des forts que son esprit était préparé à traiter, pas celle des faibles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire