C'est dans les premières pages du livre de Joseph Conrad Au coeur des ténèbres (1899). Avant de partir pour l'Afrique, Marlow doit passer une visite médicale. Le docteur faisant l'éloge de la Compagnie par laquelle Marlow est engagé, ce dernier exprime sa surprise de ce qu'il ne parte pas là-bas:
"Il redevint d'un coup froid et réservé. "Je ne suis pas si sot que j'en ai l'air, dit Platon à ses disciples", fit-il, sentencieux, vida son verre avec une grande détermination et nous nous levâmes." (G-F p.96)
C'est à mon tour d' être étonné de lire cette sentence que je n'ai jamais trouvée ailleurs. Qu'a pu donc faire Platon pour que ses disciples tous ensemble l'interprètent comme l'expression de la bêtise ? Qui étaient donc ces élèves pour ne pas hésiter à réviser à la baisse la valeur qu'ils accordaient à leur maître ? Celui-ci n'avait-il donc pas assez de crédit pour les entraîner à rechercher sous l'ineptie apparente l'intelligence cachée ?
Mais fallait-il dépasser les apparences ? Platon a-t-il simulé le sot pour mettre à l'épreuve la capacité des disciples à ne pas s'en tenir aux ombres ? Ou bien a-t-il fait réellement une sottise, la limitation des disciples consistant seulement alors à identifier "faire une bêtise" à "être bête" ?
A moins que les disciples ne se soient attendus à ce que leur maître fasse une sottise (une quatrième expédition à Syracuse par exemple ?) ? Mais cela suggérerait alors une disposition platonicienne à faire des sottises ( disposition à chercher à transformer un tyran en philosophe, manifestée déjà sous la forme de trois tentatives piteuses?)
Clarifions un peu:
a) Platon a fait (ou dit) une bêtise; les disciples sont à demi-lucides, leur erreur consistant à identifier un acte à un état.
b) Platon a fait semblant de faire (ou dire) une bêtise; les disciples ne sont pas du tout lucides, leur erreur étant d' identifier une apparence à une essence.
c) Platon va faire (ou dire) une bêtise; les disciples sont aux trois-quart lucides: en effet ils ont procédé à une induction non abusive (du genre: "jamais trois sans quatre") mais n'ont pas réalisé que la manifestation de l'anticipation de la, disons, quatrième bêtise détournerait Platon de la commettre.
d) Platon fait semblant de vouloir faire (ou dire) une bêtise; les disciples ne sont pas du tout lucides, leur méprise consistant à ne pas identifier l'individu Platon au concept qu'il exemplifie ("philosophe"). Dans ce dernier cas, Platon pourrait s'adresser à eux dans les termes du Christ à ses apôtres:
" Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas ? Avez-vous le coeur endurci ? Vous avez des yeux: ne voyez-vous pas ? Vous avez des oreilles: n'entendez-vous pas ?" (Evangile selon Marc 8 17-18)
e) Platon ne fait rien de sot mais a l'air sot. Tel Socrate dont le physique ne joue pas en sa faveur, Platon aurait un air à faire (ou dire) des bêtises; il faut alors supposer que c'est un air occasionnel, opportunité éphémère de se rendre compte alors du défaut d'insight des disciples; si cet air ne le quittait pas, on ne pourrait pas expliquer qu'il se soit fait des disciples, sauf à penser qu'ils avaient été déjà mis au parfum par un autre maître à propos du risque de confondre l'absence d'habit avec l'absence de moine.
f) Platon a fait ou fera une bêtise mais n'a pas l'intelligence de s'en rendre compte. Les disciples sont alors absolument lucides, la sentence n'étant alors que l'expression de l'aveuglement et de la vanité du maître. Il va alors de soi que cette inintelligence n'est que passagère, sans quoi on ne peut pas expliquer qu'ils le suivent en disciples, sauf à penser qu'ils sont eux-mêmes sots, ce qui est à son tour exclu car leur état ne leur aurait pas permis de percer à jour la sottise temporaire de leur maître.
a) Platon a fait (ou dit) une bêtise; les disciples sont à demi-lucides, leur erreur consistant à identifier un acte à un état.
b) Platon a fait semblant de faire (ou dire) une bêtise; les disciples ne sont pas du tout lucides, leur erreur étant d' identifier une apparence à une essence.
c) Platon va faire (ou dire) une bêtise; les disciples sont aux trois-quart lucides: en effet ils ont procédé à une induction non abusive (du genre: "jamais trois sans quatre") mais n'ont pas réalisé que la manifestation de l'anticipation de la, disons, quatrième bêtise détournerait Platon de la commettre.
d) Platon fait semblant de vouloir faire (ou dire) une bêtise; les disciples ne sont pas du tout lucides, leur méprise consistant à ne pas identifier l'individu Platon au concept qu'il exemplifie ("philosophe"). Dans ce dernier cas, Platon pourrait s'adresser à eux dans les termes du Christ à ses apôtres:
" Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas ? Avez-vous le coeur endurci ? Vous avez des yeux: ne voyez-vous pas ? Vous avez des oreilles: n'entendez-vous pas ?" (Evangile selon Marc 8 17-18)
e) Platon ne fait rien de sot mais a l'air sot. Tel Socrate dont le physique ne joue pas en sa faveur, Platon aurait un air à faire (ou dire) des bêtises; il faut alors supposer que c'est un air occasionnel, opportunité éphémère de se rendre compte alors du défaut d'insight des disciples; si cet air ne le quittait pas, on ne pourrait pas expliquer qu'il se soit fait des disciples, sauf à penser qu'ils avaient été déjà mis au parfum par un autre maître à propos du risque de confondre l'absence d'habit avec l'absence de moine.
f) Platon a fait ou fera une bêtise mais n'a pas l'intelligence de s'en rendre compte. Les disciples sont alors absolument lucides, la sentence n'étant alors que l'expression de l'aveuglement et de la vanité du maître. Il va alors de soi que cette inintelligence n'est que passagère, sans quoi on ne peut pas expliquer qu'ils le suivent en disciples, sauf à penser qu'ils sont eux-mêmes sots, ce qui est à son tour exclu car leur état ne leur aurait pas permis de percer à jour la sottise temporaire de leur maître.
Marlow, lui, n'a pas été troublé par la phrase platonicienne; le médecin l'a peut-être été:
"Le vieux docteur prit mon pouls, en pensant manifestement à autre chose."
Mais "prendre le pouls en pensant manifestement à autre chose" voulant dire généralement "prendre le pouls machinalement", j'imagine raisonnablement qu'il a dit "Je ne suis pas si sot que j'en ai l'air, dit Platon à ses disciples" en pensant manifestement à autre chose...
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