Dans son Introduction à la philosophie (1911), William James présente Platon comme l’initiateur du credo intellectualiste : il appelle credo intellectualiste la croyance que les concepts forment « un monde complètement distinct » qui mérite d’être l’unique objet d’étude des esprits élevés. Il souligne qu’un tel credo « illumina le coeur humain d’une nouvelle espèce d’enthousiasme. » Rien de très surprenant à tout cela: m’étonne en revanche l’exemple qu’il donne d’une telle fascination pour le conceptuel, détaché et de ses racines et de ses points d’application empiriques (détachement que James condamne nettement). C’est en effet Denys de Syracuse qu’il présente comme la victime de l’intellectualisme platonicien. Cela, à travers un texte de Plutarque dont il ne donne pas la référence :
« Ces concepts étaient des objets précieux, tandis que les choses concrètes étaient de vulgaires déchets. Introduit par Dion, qui avait étudié à Athènes, à la cour corrompue et mondaine du tyran de Syracuse, Platon, comme Plutarque le raconte, « y fut reçu avec une gentillesse et un respect immenses… Les citoyens commencèrent à caresser le merveilleux espoir d’une rapide réforme, en observant la modestie régler désormais les banquets et la bienséance régner dans toute la Cour, leur tyran lui-même se comportant avec courtoisie et humanité… Il y avait là une passion générale pour la réflexion et la philosophie, à tel point que le palais même était plein de poussière due aux étudiants en mathématiques qui venaient y travailler leurs problèmes sur le sable. Quelques-uns prétendaient qu’il était révoltant de voir les Athéniens qui, venus autrefois avec leur flotte et leur armée pour prendre Syracuse, avaient échoué misérablement et s’étaient fait décimer, renverser maintenant la souveraineté de Denys, par le truchement d’un sophiste ; car c’était là ce qu’il faisait, disaient-ils, en incitant Denys à congédier sa garde de dix mille lances, à renvoyer sa flotte de quatre cents galères, à licencier une armée de dix mille cavaliers et de dix fois plus de fantassins pour chercher dans les académies une félicité inconnue et imaginaire et pour apprendre l’art d’être heureux par les mathématiques. » (p.74-75 Le Seuil 2006)
Ayant surtout en mémoire le récit par Platon lui-même de son échec sicilien, je découvre une description inédite et concrète de la puissance de la parole philosophique: Denys métamorphosé en roi-philosophe, la poussière de sable envahissant le palais, symptôme d’une victoire discrète et silencieuse. Mais, bientôt les pas ne feront plus crisser le sable. Tout sera redevenu propre, syracusain et tyrannique.
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