lundi 6 décembre 2010

Diderot, lecteur de Marc-Aurèle, ou d'un usage libertin d'une définition stoïcienne.

J'ai déjà maintes fois cité la définition "objective" que Marc-Aurèle a donnée de l'amour physique dans Les Pensées (VI, 13). Là voici encore une fois, dans la traduction du regretté Pierre Hadot :
" C'est un frottement de ventre avec éjaculation, dans un spasme, d'un liquide gluant "
Diderot reprend le texte et en fait un usage très anti-chrétien dans son Addition aux pensées philosophiques :
" À entendre un théologien exagérer l'action d'un homme que Dieu fit paillard, et qui a couché sa voisine, que Dieu fit complaisante et jolie, ne dirait-on pas que le feu a été mis aux quatre coins de l'univers ? Eh ! mon ami, écoute Marc-Aurèle, et tu verras que tu courrouces ton Dieu pour le frottement illicite et voluptueux de deux intestins " (p. 68, Oeuvres philosophiques, Garnier, 1964)
Paul Vernière assure dans une note que " Diderot connaît Marc-Aurèle par la traduction de Dacier, réimprimée en 1742 par de Jolly. Mais, vérification faiteAnne Dacier a censuré le passage, le limitant aux trois exemples innocents : la viande, le vin de Phalerne et la pourpre.
Laissons là l'énigme. Ce qui est intéressant ici, c'est que la réduction de l'acte sexuel à sa dimension biologico-physique sert une fin différente de celle que le stoïcisme lui avait donnée. En effet destinée dans cette philosophie grecque à pointer le délire passionnel qui se greffe sur l'action physique, ici, elle innocente l'amour tout entier et le met à l'abri des condamnations morales.
Addition du 11/12/10 :
" Écrivez tant qu'il vous plaira sur des tables d'airain, pour me servir de l'expression du sage Marc-Aurèle, que le frottement voluptueux de deux intestins est un crime, le coeur de l'homme sera froissé entre la menace de votre inscription et la violence de ses penchants" (Supplément au voyage de Bougainville, p. 510, ibid.)

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