jeudi 2 juin 2011

La vieille coquette est-elle, comme tout homme, une cynique en puissance ? ou Peut-on regarder même les masses imbéciles comme des êtres humains potentiels ?

Je réalise que jusqu'à présent j'ai été porté à interpréter le cynisme à la lumière du stoïcisme. Ainsi voyais-je dans la vieille coquette agressée une cynique virtuelle ? Certes je comprenais bien qu'il n'était guère probable psychologiquement qu'elle se convertît en fait au cynisme mais je voyais ce fait comme contingent : la vieille coquette, comme n'importe quelle autre victime des cyniques, avait l'équipement mental requis pour cela, plus précisément, dotée de raison, elle avait la capacité d' adhérer aux thèses vraies du cynisme (je fais bien sûr ici la généreuse hypothèse que le cynisme est vrai). Or, un passage de Suzanne Husson, visant un article de J. Moles (in Le cynisme ancien et ses prolongements, PUF, 1993) me convainc que j'ai tort d'interpréter le cynisme entre autres à partir de ce qu'en a écrit Épictète et qui se révèle être un gauchissement :
" Selon lui, chaque homme serait pour le cynique un cynique potentiel et " on peut regarder même les masses imbéciles comme des êtres humains potentiels". Le cosmopolitisme de Diogène reposerait ainsi sur une connaissance de la fraternité liant les hommes entre eux au-delà des distinctions de race, de sexe, ou de statut social. Cependant, s'il se guide effectivement sur son expérience, rien ne permet au cynique de penser que la totalité des insensés, ou même un grand nombre d'entre eux, soit capable de "revêtir la vie des chiens" sous l'influence de l'enseignement cynique. Le cynique n'admet comme réalité que le présent dont il a, grâce au ponos, l'expérience, et ne connaît certainement pas la catégorie de l'être en puissance. Contrairement à ce qu'avance J. Moles, la distinction entre "le réel et le potentiel ou l'idéal" n'a pas de place dans le premier cynisme. Il se démarque ainsi de l'universalisme stoïcien qui fera de l'univers entier une cité dont les citoyens sont les hommes et les dieux. Cette problématique, plus appropriée au stoïcisme et à ce qu'il deviendra comme justification idéologique de l'impérialisme romain, est absente du cynisme, qui ne peut prétendre avoir une vision globale de la nature et de l'humanité. Le cynique sait simplement que lorsque dans l'espace public des cités ordinaires, il met ces semblants d'hommes à l'épreuve, très peu deviennent des hommes véritables, c'est-à-dire des cyniques. Il ne sait rien de plus et doit se contenter de cette constatation empirique." (p.161)
Donc restons prudent : il n'est pas impossible que, par quelque enchaînement causal contingent, la vieille coquette ne se convertisse au cynisme mais il n'y a aucune raison de voir en elle, parce qu'elle est un être humain, une disciple virtuelle des cyniques.

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