Elisabeth Anscombe a prononcé en 1988 une conférence à Pampelune à l’Université de Navarre ; elle a pour titre Human essence (L’essence humaine). J’y découvre le passage suivant, traduit de l'anglais par mes soins :
“Dans le Ménon, Socrate conduit un esclave, en lui posant des questions, à voir que la diagonale donne la longueur du côté du carré qui est le double de l’original. On dit souvent qu’il pose des « questions orientées » - mais vous pouvez me poser le nombre de questions orientées que vous voulez sur la dynastie des Han et je ne serai pas capable d’y répondre si je ne sais rien sur elle -. Pour répondre à cette objection faite à Platon, j’ai entrepris de démontrer sa position avec une petite fille de neuf ans, qui, comme l’esclave, n’avait jamais fait de géométrie. J’ai commencé avec un dessin que j’ai appelé « un carré » et j’ai posé la question de Socrate : quelle longueur aura le côté d’un carré deux fois plus grand ? A mon étonnement et à mon grand plaisir, l’enfant a répondu exactement comme l’avait fait l’esclave et nous avons procédé exactement comme dans le dialogue, parce qu’elle n’a pas cessé de dire ce que l’esclave avait dit. Je fus convaincue que ce célèbre passage du dialogue n’était pas une fiction. » (Human life, action and ethics p.33 2005)
C’est étonnant.
On est porté à interpréter le dialogue avec le petit esclave quasi comme une parabole, illustrant une conception rationaliste, d’abord, au premier degré, des mathématiques et ensuite, par élargissement, de la vérité. L’esprit de l’esclave, par la jeunesse et le statut social de son possesseur, c’est l’esprit de tout homme quand il est vierge de toutes les acquisitions doxiques. C'est comme une expérience de pensée que Platon aurait faite.
Or voilà une lecture psychologiste, l'expérience devient réelle : tout enfant interrogé habilement ( mais Anscombe a expliqué, par comparaison avec des questions historiques, qu’on ne peut pas faire la genèse des réponses en se référant simplement aux questions) répond en fait de la sorte. L’esclave a donc pu être un esclave réel.
C’est toute une pédagogie des mathématiques que l’interprétation d’Anscombe suggère.
La démonstration serait en effet sur le bord des lèvres de tout être raisonnable ; elle ne ferait pas partie d’un jeu de langage qui, comme les autres, s’apprendrait. A moins que ça ne soit un jeu qu’on sache jouer dès le premier coup ?
On est porté à interpréter le dialogue avec le petit esclave quasi comme une parabole, illustrant une conception rationaliste, d’abord, au premier degré, des mathématiques et ensuite, par élargissement, de la vérité. L’esprit de l’esclave, par la jeunesse et le statut social de son possesseur, c’est l’esprit de tout homme quand il est vierge de toutes les acquisitions doxiques. C'est comme une expérience de pensée que Platon aurait faite.
Or voilà une lecture psychologiste, l'expérience devient réelle : tout enfant interrogé habilement ( mais Anscombe a expliqué, par comparaison avec des questions historiques, qu’on ne peut pas faire la genèse des réponses en se référant simplement aux questions) répond en fait de la sorte. L’esclave a donc pu être un esclave réel.
C’est toute une pédagogie des mathématiques que l’interprétation d’Anscombe suggère.
La démonstration serait en effet sur le bord des lèvres de tout être raisonnable ; elle ne ferait pas partie d’un jeu de langage qui, comme les autres, s’apprendrait. A moins que ça ne soit un jeu qu’on sache jouer dès le premier coup ?
A tout hasard, voici le texte anglais: "In the Meno, by asking questions Socrates leads a slave to see that the diagonal gives the length of the side of the square double the original one. it is often said that he asks "leading questions" - but you can ask me any number of "leading questions" about the Han dinasty in China and I won't be able to answer them if I never knew any thing about it. In response to this objection to Plato I once undertook to demonstrate his point with a nine-year -old girl who, like the slave, had never learned any geometry. I started with a drawing which I called "a square", and asked Socrates´question: how long will the side be of a square twice as big ? To my astonishement and pleasure the child answered just as the slave did and we proceeded just as the dialogue did, because she always said the next thing that the slave did. I became convinced that this famous bit of the dialogue was no fiction."
Commentaires
J'avoue ne pas trop comprendre votre démarche.
D'abord, pour avoir déjà eu l'occasion de l'utiliser, je tiens à dire que je trouve ce dictionnaire parfaitement respectable. Je n'ai pas souvenir d'avoir consulté l'article en question, mais le nom même de sa rédactrice plaide a priori en sa faveur. D'ailleurs vous-même me critiquez pas le contenu intellectuel de cet article mais le fait qu'il figure dans ce dictionnaire.
Mais pouquoi diable voulez-vous donc qu'un dictionnaire des oeuvres politiques ignore "Mein Kampf" avec pour seul motif qu'il s'agit d'une oeuvre conceptuellement nulle ? Car enfin "Mein Kampf", vous semblez l'oublier, ce n'est ni "Fils du peuple" de Thorez, ni "Démocratie française" de VGE, ni encore moins "Quelques baies de genièvre" de Robert Fabre. Ce livre a eu une telle influence sur le cours du XX° siècle ! Tant de gens sont morts par ou pour lui ! Pour un dictionnaire digne de ce nom, ce serait manquer à sa mission première d’information que de ne pas en parler (et cela indépendamment de toute considération sur sa valeur conceptuelle).
Quant aux vertus du silence, je n’y crois guère. Souvenez-vous d’Erostrate d’Ephèse.
D'ailleurs, dans un pays où les lois savent distinguer l'information et de l'apologie, qu'auriez-vous donc à craindre d'un article de dictionnaire ? L'article "syphilis" du "Petit Larousse" a-t-il jamais contaminé personne ? Pour vous dire le fond de ma pensée, à l'heure où en deux, trois clics, n'importe qui peut accéder à n'importe quelle ânerie sur Hitler et le III° Reich ou sur n'importe quel autre sujet, je trouve admirable qu'il y ait encore des auteurs pour tenter ainsi, "à l'ancienne", de présenter de façon à la fois précise et concise l'état des connaissances sur un sujet.
J'étais sensible aussi à la contradiction entre deux critères de choix: la conceptualité des textes (qui devrait entraîner l'exclusion de textes sans valeur conceptuelle aucune) et l'importance historique des auteurs (qui justifie certes l'entrée de Hitler mais qui conduit à une cohérence incompatible avec celle du premier critère).
C'est aussi sans doute dans la logique du billet précédent qu'on comprend mieux la motivation de celui-ci.
Je suis, sinon, en accord total avec vos arguments: je n'ai pas prêché le silence et je pense comme vous qu'il faut des repères objectifs visibles pour amoindrir la nocivité de la mondialisation de la nullité que permet entre autres effets Internet
Comment prétendre que "Mein Kampf" est un ouvrage nul alors qu'il est interdit de vente en France et qu'un achat sur internet pourrait être tracé via adresse I.P ? En France, on peut se proccurer cet ouvrage au marché au livre Georges Brassens dans le 15 ème. J'ai vu un exemplaire, il ya 15 jours, sur étalage que j'ai regardé en détail pour voir ce qui était déjà surligné... Cela me fait penser à un épisode troublant d'objets interdits de vente en France concernant le nazisme. Il y a quelques années, alors que j'étais chez un petit antiquaire du marché aux puces de Paris, je suis rentré à l'intérieur quand j'ai vu un client avec une dague nazi. Surpris, j'ai tendu l'oreille et j'ai alors entendu le libraire avancer " je peux pas écouler cette dague d'apparat à Paris, mais à Lyon il y a des gens intéressés par cela".
ustl1.univ-lille1.fr/cult...
Ceci dit, vous m'apprenez son interdiction de vente en France. En Espagne, où je vis, ce n'est pas rare non plus de le trouver d'occasion. Les livres apologétiques relatifs au franquisme ne me semblent pas rares non plus, leur vente est autorisée d'autant plus qu'il n'y a pas de menace de résurgence d'un néo-franquisme. L'extrême-droite ici a été absorbée par la droite.
Merci pour le texte de Rey sur Heidegger.
Je ne pense pas également que l'on puisse traiter de "nul" une confession de souffrance, c'est une vue logo-centrée. Ce qui se donne à voir se manifeste surtout par la ponctuation. Pour ma part, je détecte des conflits politiques chez un sujet dans son rapport à l'art. C'est le cas chez Hitler qui a fait les beaux arts. En effet, l'art ne respect pas la disjonction ETRE/MONDE de l'esthétique transcendantale kantienne que je prends (avec Kant) pour une injonction divine a être dans le monde, c'est-à-dire encore : ne pas être Dieu.
C'est la raison pour laquelle je ne pense pas que Heidegger ait été antisémite et encore moins nazi. C'est un petit universitaire qui a fait toutes les compromissions possibles pour se maintenir à son poste. En revanche, ce n'est pas le cas de Nietzsche...
2) Juger nulle ici l'expression d'une souffrance (je reprends sans l'approuver pour autant votre caractérisation du livre de Hitler) veut juste dire que, jugée selon des critères rationnels (pour faire vite, conformité aux faits et respect des règles de la logique) elle est qualifiable d'irrationnelle (ce qui d'ailleurs s'expliquerait si elle n'était que l'expression d'une souffrance). Cela n'implique pas qu'il y a nulle souffrance. "Les martyrs n'ont jamais rien prouvé" comme disait Nietzsche que vous ne semblez guère aimer !
3) Je ne cache pas que je ne place pas dans la ponctuation la valeur gnoséologique que vous lui donnez.
4) Je ne suis pas sûr de vous comprendre mais vous semblez dire que la pratique des beaux-arts a encouragé chez Hitler une sorte d'hybris qu'il n'aurait pas développée s'il avait lu Kant. A mes yeux il y a mille manières de se représenter une pratique artistique; mais même si un artiste avait conscience d'être un démiurge face à la toile, disons, il faudrait expliquer pourquoi il passe au plan politique. Vous me direz peut-être que c'est parce que ces créations picturales n'étaient pas reconnues (à juste titre, si j'en juge par la toile d'Hitler que j'ai vue en 86 à Beaubourg lors de l'expositon sur Vienne: L'Apocalypse Joyeuse). Mais c'est une vieille chanson: si Hitler n'avait pas raté son examen d'entrée à l'école des Beaux-Arts... Il y a un livre de Schmidt sur ce sujet, si je ne me trompe.
J'ajoute qu'il semble qu'Eichmann avait lu Kant, pourtant...
5) Heidegger a été nazi en deux sens: 1) dans un sens factuel (il a pris sa carte, il fait cours en uniforme nazi) 2) dans un sens philosophique: le nazisme a été à plusieurs reprises l'objet de conceptualisations philosophiques de sa part. Lisez-moi bien: je n'ai pas écrit qu' Heidegger a été un philosophe nazi, ce qui serait faux tant son oeuvre dépasse en valeur l'idéologie nazie.
6) Quant à Nietzsche, que suggérez-vous ? Pour être né trop tôt il n'a pas pu être nazi et il a été très clair dans sa condamnation sans appel du pangermanisme nationaliste. Quant à l'accusation d'antisémitisme, elle ne tient pas non plus tant il l'a condamné. Ce qu'on peut dire seulement, c'est que le concept de Juif tel qu'il l'a travaillé rendait possible une récupération par les Nazis. A mes yeux Nietzsche a été détourné mais certains textes (hors contexte et le contexte ce sont tous les autres textes) se prêtaient à un tel détournement. Mais j'expose ici des choses bien connues...
5) Prendre sa carte: il était obligé de le faire s'il voulait garder son poste.
6)
7) De la même manière qu'il y a deux sortes de productions pour un artiste, la production spontanée et la commande, il y a deux types de productions chez le philosophe Heidegger. Si l'église chrétienne passe commande d'une vierge à l'enfant à un artiste, ce dernier doit-il être ensuite être classé comme chrétien ?
De la même manière, si une université développe un thème nazi, les philosophes seront ils déclarés nazis ?
Où est la limite de responsabilité ? La démission est la première. Comment juger après-coup ? Il me semble que comme Kant avec son Opus Postumum, il revient aux productions spontanées de dire si l'artiste ou le philosophe est responsable de ses prises de position au delà des contrats auxquels il est soumis, même si ces contrats eux-mêmes peuvent faire l'objet d'un jugement historique et donc d'une condamnation.
Un article ou un livre d'un universitaire est-il une production spontanée ou une commande de l'Etat français ?
Répondre à cette question, c'est envisager l'impossibilité de la philosophie universitaire, comme l'avançait Schopenhauer dans son "Contre la philosophie universitaire".
Devant l'ampleur du questionnement, je me contente de vous faire parvenir quelques références :
skildy.blog.lemonde.fr/20...
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