mercredi 25 mars 2020

Le suicide de Caton, révisé à la baisse.

Pierre Vesperini écrit des ouvrages explicitement démysticateurs. En effet son ambition est de remplacer l'histoire officielle de la philosophie antique, histoire de philosophes, au sens double où elle est écrite par des philosophes et porte sur des philosophes, par une histoire vraie de la philosophie antique écrite par un historien et portant moins sur des figures philosophiques que sur le monde social et culturel dans lequel ces " vedettes " vivaient. J'ai déjà rendu compte le 7 décembre 2016 du traitement que Pierre Vesperini a fait subir à Marc-Aurèle qui passait, pour faire très vite, du statut de philosophe stoïcien à celui d' empereur se servant à des fins non philosophiques de la philosophie stoïcienne. Aujourd'hui je souhaite juste faire connaître la manière de faire de ce destructeur de vulgates. Je tire ces lignes du dernier ouvrage de Pierre Vesperini paru chez Fayard en 2019 La philosophie antique. Essai d'histoire. Elles sont contenues dans le chapitre V, intitulé La révolution romaine, où l'historien analyse la réception de la philosophie grecque dans la culture de la Rome républicaine. L'auteur réfléchit sur le sens du " suicide de Caton, qui préfère mourir libre plutôt que de vivre sous la domination de Jules César . " :
" Très souvent, on y voit un exemple de l'influence des philosophes sur les Romains. Mais dans le récit de Plutarque, notre principale source, ce qui est étonnant, c'est que justement les deux philosophes qui entourent Caton, un Péripatéticien et un Stoïcien, sont absolument opposés au suicide. Et c'est lui qui leur reproche leur manque de cohérence, en leur opposant les discours qu'ils lui ont fait connaître. On voit très bien qu'il y avait une grande différence pour les philosophes entre exposer des doctrines éthiques et enjoindre à leurs auditeurs de les appliquer. Il y avait même une grande différence pour les philosophes entre enjoindre à leurs auditeurs d'appliquer des doctrines et attendre d'eux qu'ils le fassent réellement. Car il était courant, au cours d'une conférence, de faire de grands et beaux discours appelant à se montrer toujours et partout d'une vertu inflexible. Mais cette conférence était un " jeu de langage " qu'on trouvait dans les théâtres. Une fois le spectacle fini, chacun rentrait chez soi satisfait d'avoir entendu de belles choses, mais personne ne changeait de vie pour autant. Dans l'attitude littéraliste de Caton, il a donc quelque chose de typique de ces Romains que la philosophie conduisait parfois au bord de la folie. Et je crois que, si l'on veut vraiment comprendre ces Romains, il ne faut pas seulement les étudier en compagnie des autres Romains qui se sont particulièrement intéressés à la philosophie. Il faut surtout les rapprocher des Romains à qui les savoirs grecs ont fait perdre la raison. Des Romains se sont perdus pour posséder un chef-d'œuvre d'art grec ou par une passion pour la mythologie. Il y avait dans la culture grecque quelque chose qui fascinait, et cette fascination pouvait perdre ceux qui s'y abandonnaient. " (p. 241-242)
Caton aurait donc été une victime parmi d'autres de la mode grecque autant qu'un interprète naïf des exhortations des philosophes. On pourra aussi penser que la version de Plutarque, bien qu'elle soit la source principale, ne dit pas la vérité .

Commentaires

1. Le mercredi 25 mars 2020, 15:20 par gerardgrig
Chez les penseurs gréco-arabes, il y avait une sorte de culte sécularisé de la philosophie grecque, une dévotion presque superstitieuse pour sa méthode. Même les théologiens, pourtant hostiles aux Grecs, se mettaient à la démonstration. On pourrait donc nuancer ce que disent les lecteurs d'Henry Corbin, concernant le dialogue de sourds entre la falsafa et le kalam. Sur le plan théologico-politique, il y avait un jeu de rôles entre le Calife et le Faylsuf. Le Roi-Philosophe et le Philosophe-Roi auraient pu échanger leurs rôles. Dans ce contexte, le Roi-Philosophe était le Législateur-Prophète, fou de pensée et d'art grecs.

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