samedi 9 mai 2020

Héros extraordinaires et ordinaires.

Atlas est le modèle du héros dans le chapitre n°2 de L'homme sans qualités. Musil quantifie l'énergie dont il a besoin pour porter le monde et affirme qu'elle est inférieure à la somme des énergies dépensées par l'ensemble des hommes ordinaires. En découle que, si le héros par excellence peut être de cette manière dépassé, les héros classiques, eux-mêmes dépassés par Atlas, ont une performance énergétique modeste :

" L'activité héroïque finit même par sembler absolument dérisoire, grain de sable posé sur une montagne avec l'illusion de l'extraordinaire."


L'action héroïque prend alors un tour insignifiant, qu'il ne paraît en fait pas juste de lui donner car sa valeur est relative à ses effets et à ses raisons, eux extraordinaires, et non à ses conditions énergétiques. Reste l'originalité de contempler scientifiquement les objets de nos passions.


Mais à vrai dire, ces lignes de Musil ne retiennent pas mon attention pour cette raison, mais pour le concept qu'il y introduit d'héroïsme rationalisé. Musil désigne ainsi la performance globale d'un ensemble d'hommes individuellement non héroïques, " un nouvel héroïsme énorme et collectif, à l'exemple des fourmis."

Je me demande alors si le concept convient pour caractériser les efforts de nos pompiers, de nos militaires, de nos soignants etc. Pas vraiment, car Musil oppose toute la fourmilière à la super-fourmi, incarnation myrmécologique d' Atlas. Mais chaque fourmi de la fourmilière a-t-elle une bonne raison de se dire qu'elle est héroïque ?  Non, car on peut voir l'héroïsme rationalisé comme une propriété émergente, propriété du collectif et non de chaque membre.

On se demandera certes si la fourmi est une bonne métaphore de l'homme car à défaut de raison, c'est l'instinct qui rationalise la fourmilière. Un problème  apparaît : l'héroïsme rationalisé ne peut-il exister que si les pratiques de toute la société obéissent à des raisons rationnelles ? Plus largement, un héroïsme rationalisé  national est-il possible sans un héroïsme de même type mais international ? Ce problème a un air de famille avec celui concernant la société communiste. Plus généralement, ce qu'on appelle le Bien peut-il exister sans le Mal ?




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