Bias tire tout de même une conséquence de la méchanceté humaine :
« Il disait (...) d’aimer comme des gens qui haïront un jour » (I,87)
Aristote dans la Rhétorique se réfère à cette pensée pour caractériser les vieillards :
« Ils n'aiment, ni ne haïssent avec une grande force, pour la même raison ; mais, suivant la maxime de Bias, ils aiment comme s'ils devaient haïr un jour et haïssent comme si, plus tard, ils devaient aimer. » (II,13,1389b23, traduction de Emile Ruelle)
Mais Aristote présente les deux aspects de cette préscience apportée aux vieillards par leur expérience : elle les retient autant de diaboliser que de porter aux nues. La prudence fait autant de place à l’espérance qu’à la crainte. Par contraste, le Bias de Laërce apparaît porté à ne voir que les mauvaises virtualités des hommes. Mais Bias ne commet-il pas à son tour l’erreur qu’il dénonçait chez Alyattès ? La méchanceté de la plupart leur est-elle essentielle ? Quoi qu’il en soit, je note qu’ainsi Bias conseille de vivre dans le présent et dans le futur à la fois ; c’est du moins comme cela que j’interprète le court passage qui précède la référence à l’amour :
« Il disait de mesurer la vie comme si on allait vivre et longtemps et peu de temps »
Ce n’est en fait contradictoire que hors contexte : celui que j’aime est présentement réellement aimable, donc je vis dans le présent en l’aimant mais il est virtuellement mauvais, donc, vivant avec la pensée qu’il me nuira peut-être, je limite mon sentiment à son être présent. Les stoïciens transformeront plus radicalement l’amour et la haine en pathoï à déraciner ; Bias suggère plutôt un contrôle de l’enracinement comme si la volonté avait le pouvoir de limiter la profondeur d’un sentiment. Je pense à l’utopique prince de Machiavel, doté d’aucun caractère mais seulement de la constante disposition à changer de trait en fonction des circonstances, tantôt homme, tantôt lion, tantôt renard. Sur ce point je partagerais sans réserve l’avis de la folk psychology selon lequel qui aime avec tant d'arrière-pensées n’aime en fait guère...
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