“Lorsqu’il s’endormait on lui mettait une boule de bronze dans la main, au-dessus d’un bassin, afin que quand la boule tombait dans le bassin, il fût éveillé par le bruit. » (V 16)
Il pourrait s’agir d’une torture destinée à priver de sommeil la victime mais s’agissant d’Aristote, le dispositif, surveillé sans doute par un esclave dressé à prêter attention à la perte d’attention de son maître, a un tout autre sens, d'ailleurs jusqu’ à présent doublement interprété :
A) Lecteur appliqué du Phédon, Aristote met la technique au service de son apprentissage de la mort :
« La condition la plus favorable pour que l’âme raisonne bien, c’est, je pense, quand rien ne la trouble, ne ce qu’elle entend ni ce qu’elle voit, ni une souffrance et pas davantage un plaisir, mais que, au plus haut degré possible, elle en est venue à être isolée en elle-même, envoyant promener le corps, et que, sans commerce avec celui-ci, sans contact avec lui, elle aspire au réel autant qu’elle en est capable ! » (65 c trad. de Robin)
Il se serait agi alors de ne pas faire la part du corps, mais Pascal n’a-t-il pas écrit avec justesse ?
« C’est sortir de l’humanité que sortir du milieu.
La grandeur de l’âme humaine consiste à savoir s’y tenir ; tant s’en faut que la grandeur soit à en sortir qu’elle est à n’en point sortir. » (Pensées 468 Ed. Le Guern)
B)D’où l’hypothèse de P.Moraux, ainsi reconstituée par une précieuse note de Michel Narcy :
« Aristote aurait été l’inventeur d’une clepsydre dans laquelle, quand l’eau atteignait un certain niveau, un mécanisme était déclenché qui projetait une bille de bronze dans un bassin, réveillant ainsi le dormeur à l’heure qu’il avait fixée. » (Diogène Laërce Vies et doctrines des philosophes illustres p.571)
Il se serait agi de faire d’une pierre deux coups : la part du corps et celle de l’esprit en cela même qu’on l'use à ne pas laisser le corps prendre plus que ce à quoi il a droit. En somme, le repos de l’ingénieur !
Mais, difficulté, cette interprétation se fait au prix d’une modification du texte grec refusée radicalement par deux autres éminents hellénistes puis jugée problématique par Moraux lui-même. Finalement trop peu grec pour être vrai.
Quoiqu’il en soit, au-delà de la divergence entre les deux versions s’exprime à travers ce réveil fruste ou sophistiqué la même crainte d’une perte momentanée ou trop longue du contrôle de soi.
Somme toute, Aristote ne veut pas rêver, ni endormi ni éveillé:
« Comme on lui demandait ce qu’est l’espoir, « c’est, dit-il, rêver tout éveillé » (V 18))