Si on pense la philosophie comme connaissance de la vérité et comme thérapeutique de l'âme, précisément comme thérapeutique fondée sur la connaissance de la vérité, autrement dit, si on s'inscrit dans la tradition ouverte par Démocrite, alors on ne peut qu'être troublé à la lecture des lignes nietzschéennes (l'erreur au service de la vie) de Jean-Marie Schaeffer dans son dernier ouvrage La fin de l'exception humaine (2007) :
" Nous avons spontanément tendance à croire qu'avoir des représentations adéquates est un atout et avoir des représentations fausses un handicap, et que donc il convient de rechercher en toute situation la "vérité". Il y a bien sûr du vrai là-dedans, mais c'est une vérité partielle. Il semblerait ainsi qu'entretenir un certain nombre d'illusions, notamment à propos de soi-même, soit indissociable d'une vie psychique réussie. Dans des travaux célèbres, Taylor et Brown ont par exemple montré que, loin d'être un trait pathologique, entretenir des illusions positives à l'égard de soi-même est une caractéristique de santé mentale. Les sujets "sains" (dois-je voir dans ces guillemets une nostalgie que Schaeffer éprouverait pour une conception archaïque certes mais plus ambitieuse, plus noble de la santé de l'esprit?) ont systématiquement tendance à se voir eux-mêmes en des termes d'une positivité irréaliste, à croire qu'ils contrôlent davantage les événements extérieurs qu'ils ne le font en réalité et à entretenir des visions du futur plus rose que les circonstances ne le justifient. Autrement dit, si les dépressifs ont un biais pessimiste, les gens non dépressifs ont un biais optimiste (ils ne se caractérisent donc pas par une vue adéquate d'eux-mêmes, mais au contraire par un biais positif." (p.362)
C'est signer l'acte de divorce entre la vérité et le bonheur.
Schaeffer est lui-même bien incapable d'écrire un ouvrage permettant de "faire coexister nos besoins mentaux endogènes avec les contraintes des savoirs exogènes" (p.383). Entendez par "besoins mentaux endogènes" besoin de disposer d' "une vision du monde", d'"une représentation évidente et globale de la réalité" qui la justifie, lui donne un sens et permette de maintenir "l'état de stabilité interne de notre identité". Quant aux "savoirs exogènes", ce sont les savoirs ordinaires mais surtout les savoirs scientifiques tirés de l'expérimentation, cependant toujours locaux, révisables et inarticulables avec d'autres savoirs de même type portant sur d'autres objets, eux aussi particuliers.
Or, les savoirs exogènes, par leur accumulation (ils grandissent individuellement et se multiplient), contraignent les visions du monde à des révisions, pire à des crises.
La thèse de l'exception humaine, qui donne à l'homme la place grandiose d'un sujet conscient, irréductible à l'animalité et à la matière, est ainsi bien mise à mal, entre autres par l'évolutionnisme (ce que Jean-Marie Schaeffer analyse dans le chapitre 3 "L'humanité comme population mendéléenne"). Plus généralement l'objet du livre est de prendre position contre un naturalisme et un culturalisme exclusifs et pour une naturalisation de la culture, pensant l'humain comme un vivant particulier et la culture comme une propriété naturelle de ce vivant-là.
Pour savoir qui on est, il ne faut donc plus lire Descartes et les Méditations métaphysiques, mais les ouvrages des sciences de la vie et des sciences de l'homme; lectures sans profit certes si ne les accompagne pas le souci très explicitement manifesté par Schaeffer de la clarification conceptuelle - ce qui donne à cet ouvrage un certain air de famille avec la philosophie analytique -.
Schaeffer est lui-même bien incapable d'écrire un ouvrage permettant de "faire coexister nos besoins mentaux endogènes avec les contraintes des savoirs exogènes" (p.383). Entendez par "besoins mentaux endogènes" besoin de disposer d' "une vision du monde", d'"une représentation évidente et globale de la réalité" qui la justifie, lui donne un sens et permette de maintenir "l'état de stabilité interne de notre identité". Quant aux "savoirs exogènes", ce sont les savoirs ordinaires mais surtout les savoirs scientifiques tirés de l'expérimentation, cependant toujours locaux, révisables et inarticulables avec d'autres savoirs de même type portant sur d'autres objets, eux aussi particuliers.
Or, les savoirs exogènes, par leur accumulation (ils grandissent individuellement et se multiplient), contraignent les visions du monde à des révisions, pire à des crises.
La thèse de l'exception humaine, qui donne à l'homme la place grandiose d'un sujet conscient, irréductible à l'animalité et à la matière, est ainsi bien mise à mal, entre autres par l'évolutionnisme (ce que Jean-Marie Schaeffer analyse dans le chapitre 3 "L'humanité comme population mendéléenne"). Plus généralement l'objet du livre est de prendre position contre un naturalisme et un culturalisme exclusifs et pour une naturalisation de la culture, pensant l'humain comme un vivant particulier et la culture comme une propriété naturelle de ce vivant-là.
Pour savoir qui on est, il ne faut donc plus lire Descartes et les Méditations métaphysiques, mais les ouvrages des sciences de la vie et des sciences de l'homme; lectures sans profit certes si ne les accompagne pas le souci très explicitement manifesté par Schaeffer de la clarification conceptuelle - ce qui donne à cet ouvrage un certain air de famille avec la philosophie analytique -.
Cependant Schaeffer reconnaît bien que, s'il est en mesure d'affaiblir la vision du monde anthropocentrée autant au centre de la religion que du fondationnalisme cartésien ou de l'hyperculturalisme, il ne peut pas (et ne veut pas) lui substituer une autre vision du monde. Il y a un abîme en effet entre ce que les savoirs exogènes portent à tenir pour vrai et les croyances que nos besoins endogènes poussent à défendre.
Cependant l'ouvrage milite en faveur d'une vision du monde plus en accord avec ce que les sciences nous autorisent à croire, tout en dénonçant l'idée d' une vision du monde intégralement justifiable par le raison.
On peut cependant s'interroger sur la place que la distinction faite par Schaeffer entre savoir empirique et vision du monde laisse à son propre ouvrage. Ni savoir empirique, ni vision du monde, ce livre, pour ne pas s'auto-réfuter, ne doit-il pas être vu précisément comme une oeuvre de philosophie moderne ? J'entends par philosophie moderne une réflexion décidément éclairée par les sciences mais irréductible à elles, attentive à ne pas constituer une vision du monde dont la dimension illusoire serait manifeste mais déterminée à se mettre au service du bonheur et de l'action.
En somme une philosophie qui, ayant fait sa part à l'irrationnalité, ne renoncerait tout de même à la recherche de bonnes raisons de vivre et d'agir.
Cependant l'ouvrage milite en faveur d'une vision du monde plus en accord avec ce que les sciences nous autorisent à croire, tout en dénonçant l'idée d' une vision du monde intégralement justifiable par le raison.
On peut cependant s'interroger sur la place que la distinction faite par Schaeffer entre savoir empirique et vision du monde laisse à son propre ouvrage. Ni savoir empirique, ni vision du monde, ce livre, pour ne pas s'auto-réfuter, ne doit-il pas être vu précisément comme une oeuvre de philosophie moderne ? J'entends par philosophie moderne une réflexion décidément éclairée par les sciences mais irréductible à elles, attentive à ne pas constituer une vision du monde dont la dimension illusoire serait manifeste mais déterminée à se mettre au service du bonheur et de l'action.
En somme une philosophie qui, ayant fait sa part à l'irrationnalité, ne renoncerait tout de même à la recherche de bonnes raisons de vivre et d'agir.
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