" Paris, 5 avril 1943.
À midi, on comptait plus de deux cents morts. Quelques bombes ont atteint le champ de courses de Longchamp où se pressait une foule dense. À la sortie des bouches du métro, les promeneurs du dimanche heurtaient des groupes de blessés hors d'haleine, aux vêtements en loques, qui se tenaient la tête ou le bras, une mère serrant sur sa poitrine un enfant ensanglanté. Un pont a été également touché et un grand nombre de passants, dont on repêche en ce moment les corps, ont été projetés dans la Seine.
Au même instant, de l'autre côté du Bois, flânait une foule joyeuse, endimanchée, tout à la joie des arbres, des fleurs, de la douceur de l'air printanier. Telle est la face de Janus de ce temps." (Ernst Jünger, Second journal parisien in Journaux de guerre 1939-1948, La Pléiade, p.490-491)
Au même instant, de l'autre côté du Bois, flânait une foule joyeuse, endimanchée, tout à la joie des arbres, des fleurs, de la douceur de l'air printanier. Telle est la face de Janus de ce temps." (Ernst Jünger, Second journal parisien in Journaux de guerre 1939-1948, La Pléiade, p.490-491)
Commentaires
Néanmoins, dans la toile de fond des évènements dramatiques ou pathétiques qu'il vit, Jünger pourrait voir encore d'autres figures, mais il ne les épuise pas toutes.
Ainsi, il évoque le bombardement américain des Usines Renault à Billancourt, en avril 1943. L'Hippodrome de Longchamp, haut-lieu de la Collaboration mondaine, est touché lui aussi involontairement, ce qui pourrait être interprété comme une intervention d'un Dieu ou d'un Destin.
Dans une tout autre optique, celle de la chanson naturaliste, "être du bon côté du Bois" ferait penser à une chanson de cette époque, "De l'autre côté de la rue" d'Edith Piaf.
Quant à Jünger a-t-il été jamais du côté des Lémures ? S'il modifie ses textes sur la guerre 14-18 quand le nazisme s'installe, c'est parce que dès le début il ne s'identifie pas à lui.
Moralement en revanche ce qui peut être condamné, c'est la prise de distance mentale par rapport à un processus duquel on est à sa modeste échelle responsable. Certes quand on participe au processus en prenant chaque jour le risque de la mort et de l'invalidité, la hauteur a une grandeur heroïque qu'elle perd quand le penseur, trop promu pour mourir sur le champ de bataille, fait un travail de bureau à l'état-major.. Pour disculper donc Jünger de ce qui pourrait passer pour un esthétisme lâche, il faut avoir en tête Orages d'acier.
Merci beaucoup pour la référence à Blanchot, qui permet de voir à quel point l'invocation des mythes peut avoir une fonction politique anesthésiante, en renvoyant à l'éternel et au destin ce qui participe du fragile et révocable présent.