vendredi 28 juin 2019

Croquis sans sa greguería.

Commentaires

1. Le vendredi 28 juin 2019, 13:59 par gerardgrig
Ici, la "gregueria" est inscrite dans la tête du lecteur. Elle serait inutile, à côté du croquis. On montre la gravure de Musset au lecteur et il récite mentalement la "Ballade à la lune", comme un mantra. C'est l'archétype de la récitation de nos vertes années, depuis toujours et pour toujours. "La lune|Comme un point sur un i." Musset, dandy romantique, avait aussi le désir des choses qui durent. Il est vrai que le dandysme est peut-être l'apanage de celui que Jean d'Ormesson appelait le "stoïcien rose", le "stoïcien de la frivolité". C'est l'histoire d'Hercule aux pieds d'Omphale, devenu un héros sans travaux et supportant sans broncher sa condition d'esclave.

Ajo

jeudi 27 juin 2019

Greguería n° 75

" El sillón cómodo y encretonado que sirvió para la larga enfermedad de la abuela ha quedado ya con la sombra de un perfil proyectado por una de las aletas en que reposó tanto su cabeza."
" Le confortable fauteuil en cretonne qui servait pour la longue maladie de la grand-mère a désormais gardé l'ombre du profil qui apparaissait quand si souvent elle se reposait à l'appuie-tête."

Commentaires

1. Le jeudi 27 juin 2019, 16:40 par gerardgrig
Parmi les lecteurs de Ramón, les baby-boomers seront les derniers qui comprendront le sens de certaines greguerias. Chez les parents et les grands-parents, il y a eu naguère une façon abusive et traumatisante pour les jeunes générations de vivre la vieillesse et la mort, en sombrant littéralement de toutes les façons, et en laissant partout des traces physiques d'eux, sur les meubles et jusque sur les murs. Cela a produit de grands artistes maudits, des névrosés et des psychotiques. Dans le roman, c'est le thème scandaleux du parent indigne qui a fait son apparition, comme dans "Les Frères Karamazov" de Dostoïevski. Dans un milieu clos et étouffant, Fiodor Karamazov entraîne sa famille dans sa déchéance physique et morale. D'une façon plus banale, c'était la grand-mère de Ramón qui mettait en scène sa mort avec une certaine indécence, que la société trouvait normale, et qui laissait à sa famille un sentiment de tristesse et d'horreur, matérialisé par une ombre spectrale sur un fauteuil. Autrefois, les parents et les grands-parents étaient ce qu'Ibsen appelait des Revenants.

Greguería n° 75

" El sillón cómodo y encretonado que sirvió para la larga enfermedad de la abuela ha quedado ya con la sombra de un perfil proyectado por una de las aletas en que reposó tanto su cabeza."
" Le confortable fauteuil en cretonne qui servait pour la longue maladie de la grand-mère a désormais gardé l'ombre du profil qui apparaissait quand si souvent elle se reposait à l'appuie-tête."

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1. Le jeudi 27 juin 2019, 16:40 par gerardgrig
Parmi les lecteurs de Ramón, les baby-boomers seront les derniers qui comprendront le sens de certaines greguerias. Chez les parents et les grands-parents, il y a eu naguère une façon abusive et traumatisante pour les jeunes générations de vivre la vieillesse et la mort, en sombrant littéralement de toutes les façons, et en laissant partout des traces physiques d'eux, sur les meubles et jusque sur les murs. Cela a produit de grands artistes maudits, des névrosés et des psychotiques. Dans le roman, c'est le thème scandaleux du parent indigne qui a fait son apparition, comme dans "Les Frères Karamazov" de Dostoïevski. Dans un milieu clos et étouffant, Fiodor Karamazov entraîne sa famille dans sa déchéance physique et morale. D'une façon plus banale, c'était la grand-mère de Ramón qui mettait en scène sa mort avec une certaine indécence, que la société trouvait normale, et qui laissait à sa famille un sentiment de tristesse et d'horreur, matérialisé par une ombre spectrale sur un fauteuil. Autrefois, les parents et les grands-parents étaient ce qu'Ibsen appelait des Revenants.

mercredi 26 juin 2019

Déshabiller les choses.

Un passage de l' Anthropologie du point de vue pragmatique renvoie à ce que Sandrine Alexandre a appelé dans le stoïcisme la resdescription dégradante et qu'on pourrait aussi penser comme description rationnelle, la dégradation n'etant que relative à l'embellissement conféré par l'imagination passionnelle :
" L'habit fait l'homme : le mot vaut aussi dans une certaine mesure pour l'esprit sensé. Le proverbe russe dit bien : " On reçoit son hôte selon son costume et on le raccompagne selon son entendement " ; l'entendement, cependant, ne peut empêcher que des représentations obscures ne suggèrent l'impression d'une certaine importance produite par un personnage bien vêtu ; tout au plus peut-il avoir le projet de rectifier par la suite le jugement ainsi porté au préalable." (I, 1-5, La Pléiade, p. 955)
L' entraînement au stoïcisme, destiné à ne pas subir plus que ce que Sénèque appelle " les ombres de passion ", permet de vite enlever les habits de tout ce qu'on perçoit, qu'ils soient luxueux et attirants ou puants et répulsifs, cela afin d'identifier leur essence.
Training peut-être un peu trop simple (car comment caractériser essentiellement la chose ?), mais qui vaut mieux que l'absence de tout effort pour déshabiller (paresse qui peut être justifiée ou bien par la croyance que l'habit fait le moine ou bien par celle, plus usuelle à notre époque conformistement démystificatrice, selon laquelle sous l'habit, on ne peut jamais trouver qu'un autre habit).

mardi 25 juin 2019

Greguería n° 48

" Hay una paloma extraviada que se creyó paloma mensajera y a mitad de camino se dio cuenta de que se había equivocado."
" Il y avait un pigeon perdu qui se prenait pour un pigeon voyageur et qui à mi-chemin s'est rendu compte qu'il s'était trompé."

Greguería n° 74

" Vivir en un siglo es como vivir en todos si se saben mirar con serenidad las piedras."
" Vivre dans un siècle, c'est comme vivre dans tous si on sait regarder les pierres avec sérénité."

lundi 24 juin 2019

La convenable inconvenance du regard analytique.

Dans l' Anthropologie d'un point de vue pragmatique, Kant souligne l'utilité du pouvoir de faire abstraction, c'est-à-dire de volontairement ne pas tenir compte d'une perception présente:
" Bien des hommes sont malheureux par manque de pouvoir d'abstraction. Le prétendant pourrait faire un bon mariage s'il pouvait seulement fermer les yeux sur une verrue au visage de sa bien-aimée, ou sur un vide dans sa denture. C'est bien une inconvenance particulière de notre faculté d'attention que de se fixer justement, fût-ce de manière involontaire, sur une défectuosité d'autrui, de diriger les regards sur un bouton manquant à la veste ou sur l'absence d'une dent ou sur un défaut coutumier d'élocution, de plonger par là l'autre dans la confusion, mais de gâcher aussi son propre jeu dans ses rapports avec lui (den Anderen dadurch zu verwirren, sich selbst aber auch im Umgange das Spiel zu verderben). Quand l'essentiel est de bon aloi, c'est agir non seulement avec équité, mais aussi avec un sens avisé que de passer sur les côtés fâcheux d'autrui ou même de l'état momentané de notre propre fortune ; mais cette faculté d'abstraire est une vigueur d'esprit qui ne peut s'acquérir que par la pratique." ( Oeuvres philosophiques, tome III, La Pléiade, p. 950 )
Par opposition à ces normes qui tiennent aux yeux de Kant de la conduite civilisée et non de la conduite éthique, moralisée, la psychanalyse a dressé l'oeil et l'ouïe du praticien à se fixer précisément sur les " défectuosités " de l'âme. Surtout si " l'essentiel est de bon aloi ", le psychanalyste manifestera sa " vigueur d'esprit " dans son aptitude à ne pas " passer sur les côtés fâcheux d'autrui ". Mais, dans ce nouveau cadre, l'autre, pour autant qu' il connaît les règles de ce jeu inédit, ne sera pas plongé " dans la confusion ". Il verra même dans cette attention, que la politesse mal éclairée pourrait juger inconvenante, la condition nécessaire pour faciliter in fine ses rapports avec lui-même.
Autrement dit, le regard porté sur autrui que Kant dénonce en fin de compte autant au niveau de la politesse que de la simple prudence (ça serait aussi notre propre relation à autrui que l'on gâcherait par une attention indésirable), devient avec la psychanalyse épistémiquement justifié, et même nécessaire, acquérant, par cela même, une justification thérapeutique, donc possiblement morale.

Commentaires

1. Le mardi 25 juin 2019, 22:17 par gerardgrig
Faire abstraction des actes manqués d'autrui semble difficile. La culture analytique s'est diffusée et l'on sait qu'un lapsus est un symptôme de la psychopathologie de la vie quotidienne. Néanmoins, on peut admettre qu'il n'est pas courant d'entamer dans l'ascenseur une psychanalyse de son voisin qui a fait un pataquès. Il reste que l'acte manqué, toujours suspect d'être fait exprès, est ce qui passe le moins bien dans ce que nous tolérons de fâcheux chez autrui, pour notre confort et pour le sien. Un acte manqué est une gaffe. Pour les moralistes du XVIIeme, on n'avait aucune excuse pour ses gaffes. On en était responsable, et c'était justice. On ne fait pas abstraction d'une gaffe, on la pardonne.
2. Le jeudi 27 juin 2019, 11:43 par Philalethe
Il y a, je crois, une différence entre une gaffe et un acte manqué : la gaffe a immédiatement du sens alors que l'acte manqué doit être interprété pour recevoir un sens. En outre, en faisant gaffe, on s'abstient de faire une gaffe, alors qu' on ne peut pas en faisant attention s'abstenir de faire un acte manqué.

dimanche 23 juin 2019

Greguería n° 73

" Lo peor de los arboles genealógicos es que de pronto se fija en ella la chismosa chicharra."
" Le pire dans les arbres généalogiques est que vite s'y installe la cigale bavarde."

Commentaires

1. Le lundi 24 juin 2019, 00:33 par gerardgrig
La génération des années 1910 a eu un privilège inouï, dont Ramón a usé sans limites. Elle était dans un entre-deux et elle marchait à cloche-pied, ou elle dansait en boitant. C'est ce qu'on a appelé le Noucentisme. Ce mouvement avançait vers la modernité, tout en regardant vers le XIXeme siècle, pour corriger les excès de modernité des années 1900. Dans cette gregueria, Ramón semble évoquer les sagas familiales des romanciers de la deuxième moitié du XIXeme siècle. Il y ajoute une métaphore de fabuliste, avec la distance amusée des nouvelles générations. Pour le roman naturaliste, une famille tend vers le désordre et la dégradation, comme toute chose dans le monde. Elle aurait des tares héréditaires, ce qui était une hypothèse fantaisiste. Néanmoins, elle produira une cigale qui chante, un fils prodigue, une fin de race, un artiste. Ce que Sartre appelait l'idiot de la famille.
2. Le jeudi 27 juin 2019, 11:53 par Philalethe
J'ai failli traduire " chismosa " par soûlante. C'est dépréciatif.

samedi 22 juin 2019

Les mauvais frottements.

" Alors les individus désoeuvrés et tournés vers le dehors se poussent, se bousculent, se frottent les uns aux autres, car aucune intime pudeur ne les tient à distance respectueuse les uns des autres ; tout n'est que remue-ménage et remous parfaitement stériles. L'on ne possède rien, ni individuellement, ni en commun : et l'on se monte la tête et se prend de querelle. Ce ne sont pas alors les couplets entraînants et les joyeux festins qui réunissent les amis (...). Non, mais les commérages, les rumeurs, la vaine présomption et la jalousie indolente sont le fade succédané de tout cela." (Kierkegaard, Un compte-rendu littéraire, Oeuvres complètes, VIII, p. 204)

vendredi 21 juin 2019

Greguería n° 72

" El escritor es un ser al que le han sentenciado a escribir cien millones de veces la frase "Quiero superarme", "Quiero superarme", "Quiero superarme"..."
" L'écrivain est un être qu'on a condamné à écrire des centaines de millions de fois la phrase " Je veux me dépasser ", " Je veux me dépasser ", " Je veux me dépasser "..."