mercredi 12 octobre 2005

Archéalos, un amant très ordinaire.

L'élève a éclipsé le maître. Qui en effet a entendu parler d'Archélaos, disciple d'Anaxagore et maître de Socrate ? Diogène Laërce lui consacre bien peu de lignes. Je ne suis pas surpris d'y retrouver les préoccupations cosmologiques de tous les philosophes milésiens. Ignorant le concept de matière, bien plus tardif et d'origine aristotélicienne, Archélaos est pourtant à nos yeux bien matérialiste quand il explique la genèse de l'humanité:
" Les êtres vivants sont engendrés à partir de la terre, quand elle est chaude et qu'elle émet une boue qui, se rapprochant du lait, est comme un aliment; c'est bien de cette façon qu'elle a fait aussi les hommes." (II, 17)
Terre nourricière au sens propre. Etrange conception à la fois si fantaisiste et si proche au fond de notre vérité scientifique, en ce qu'elle procède, semble-t-il, d'une volonté de ne pas chercher ailleurs que dans un processus immanent l'origine de l'homme. Finalement c'est un texte du néoplatonicien Porphyre qui retient mon attention:
" On disait de Socrate qu'alors qu'il était enfant il ne se comportait pas bien et était indiscipliné (...) A l'âge de dix-sept ans, il fut l'objet des soins d'Archélaos, l'élève d'Anaxagore, qui disait en être épris. Socrate ne cessa pas de rencontrer et de fréquenter Archélaos et resta auprès de lui durant de longues années. C'est ainsi qu'Archélaos le convertit aux préoccupations philosophiques." (Histoire de la philosophie, fgm. 12, éd. Nauck, 11, 23)
Le Suda, lexique anonyme écrit 7 siècles après, appelle, lui, un chat un chat:
"Aristoxène (philosophe aristotélicien de la fin du 4ème siècle av. JC) dit que Socrate suivit d'abord l'enseignement d'Archélaos. Il en fut d'ailleurs le mignon."
Je ne peux pas ne pas penser au Banquet, quand l'élève de Socrate, Platon, oppose à la relation pédérastique un parcours initiatique où l'amour d'un beau corps n'est que le point de départ vite dépassé d'une élévation spirituelle aboutissant à la contemplation de l'essence même de la Beauté. Mais Socrate, dans l'esprit de ceux qui imaginent sa vie, n'a pas la place de ce jeune aimé dont l'amant doit vite se défaire pour étendre son désir aux beaux corps en général. Ici il est juste le mignon d'un amant éclairé : en échange d'une éducation, il abandonne son corps aux désirs d'Archélaos. Il illustre parfaitement un des éléments de la relation dont Pausanias dans le Banquet fait l'éloge. Inspirée par l'Aphrodite céleste, elle se distingue de celle que commande l'Aphrodite vulgaire où l'adulte ne vise qu'a consommer sans fin les corps des jeunes garçons:
" Si l'on désire se mettre au service de quelqu'un dont on escompte quelque progrès en sagesse ou en toute autre partie de la vertu, cette servitude, volontaire, n'a rien de honteux ni de vil (...) Si en effet l' amant (entendez l'adulte) et l'aimé (entendez l'adolescent) se font chacun une loi, le premier de payer les faveurs du second d'autant de services qu'il est licite, et le second de marquer sa reconnaissance à celui à qui il doit sagesse et vertu en l'obligeant dans une mesure égale, si le premier sait apporter sa dot d'intelligence ou de vertu et que le second ressente vraiment le besoin d'améliorer son éducation et ses connaissances, alors, en ce point de coïncidence et en ce point seul, il peut y avoir quelque beauté à se donner à un amant; autrement il n'en est rien." (184 cde trad. Philippe Jaccottet)
Finalement Socrate et Archélaos ont formé un couple bien ordinaire. Le désir de l'un vise ce que possède l'autre. On est loin de ce qui, venant de la bouche de Diotime, s'exprimera à travers la parole de Socrate: la sublimation du désir sexuel à la hauteur de ce qu'on appellera bien plus tard la métaphysique.

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