Dans le Cahier bleu, Wittgenstein précise à quelle condition on peut employer ces expressions en leur donnant en sens. Il vient d'expliquer que "mal de dents inconscient" n'est une expression sensée que si mal de dents veut dire carie:
" Nous pouvons fort bien dire, selon les termes de cette nouvelle convention: "J'ai inconsciemment mal aux dents", car ce que nous pouvons attendre d'une expression c'est de nous permettre de distinguer entre une mauvaise dent douloureuse et une mauvaise dent indolore. Toutefois la nouvelle expression entraîne avec elle des représentations et des analogies qui font qu'il est difficile de s'en tenir strictement aux termes de la convention. Il faudrait avoir l'esprit constamment en éveil pour écarter les images de ce genre, particulièrement dans la pensée philosophique où l'on s'efforce de contempler ce qui est dit à propos des choses. L'expression "mal de dents inconscient" pourrait ainsi nous faire penser que l'on vient de faire une étonnante découverte, une découverte stupéfiante en quelque sorte pour notre compréhension; ou peut-être sera-t-on fortement étonné par cette expression (ce fameux étonnement du philosophe) et nous nous demanderons: "Un mal de dents inconscient, comment cette chose-là est-elle possible?" Vous serez alors tenté de déclarer que ce "mal de dents inconscient" est impossible, mais un homme de science vous dira que la chose existe, car la preuve en a été faite, et il vous le dira: " Voyons, la chose est simple: il y a d'innombrables faits dont vous n'avez pas connaissance, et il existe ce mal de dents que vous ne connaissiez pas, on vient juste de le découvrir." Sur quoi vous ne sera pas satisfait, mais vous ne saurez quoi répondre. Ce sont des problèmes de ce genre qui opposent constamment philosophes et savants" (p.77-78 Tel Gallimard)
Application: ce qui est proprement incroyable, c'est l'idée qu'un désir (défini en tant qu'état subjectif et non pas en tant que comportement) puisse être tout à fait inconscient pour le sujet qui le ressent (c'est exactement comme si on avait une rage de dents sans s'en apercevoir). En revanche si on comprend "désir inconscient" sur le modèle de "mal de dents inconcient" (= carie indolore), on identifie alors le désir inconscient à un état objectif (du cerveau ?) disposé à causer un désir ressenti. L'étonnement a disparu. En somme le problème est de savoir si la psychanalyse est vraiment étonnante à cause des choses auxquelles elles se réfèrent (imaginez qu'on vous dise qu'un célibataire marié, ça existe vraiment et que la personne en question est réellement célibataire et réellement mariée !) ou à cause des expressions qu'elle utilise.
Dernière précision: l'étonnement du philosophe wittgensteinien est radicalement différent de l'étonnement conceptualisé par Aristote au début de la Métaphysique (A 2). Alors que chez Aristote, il est ressenti par rapport à la réalité et par là même est le moteur d'une connaissance de celle-ci, chez Wittgenstein, il est ressenti par rapport à ce qui est dit de la réalité et il pousse à clarifier les manières de parler. Wittgenstein l'écrit explicitement: la philosophie s'efforce de contempler ce qui est dit à propos des choses.