mercredi 6 juin 2012

Un danger de l'analyse conceptuelle.

Dans le chapitre 7 du livre IV de l 'Essai sur l'entendement humain, Locke traite des axiomes (qu'il appelle aussi maximes) , et précisément des axiomes logiques, comme ce que nous appelons le principe d'identité : "ce qui est est". Il les étudie à la fois génétiquement et épistémologiquement, à chaque fois dans le même esprit : réviser à la baisse leur valeur. Génétiquement, ils les dérivent de propositions particulières et épistémologiquement il les prive de tout intérêt heuristique : ils ne servent pas à découvrir la vérité mais à la communiquer et aussi à mettre fin aux chicanes. Pire, le strict respect de la logique peut conduire à soutenir des thèses fausses. C'est ce qu'il argumente dans le paragraphe 12 (trad. Coste, p.880, Livre de poche ) auquel il donne le titre suivant, Si l'on ne prend pas garde à l'usage qu'on fait des mots, ces maximes peuvent prouver des contradictions. Exemple dans le vide :
" Une autre chose qu'il ne sera pas, je crois, mal à propos d'observer sur ces maximes générales, c'est qu'elles sont si éloignées d'avancer, ou de confirmer notre esprit dans la vraie connaissance, que, si nos notions sont fausses, vagues ou incertaines, et que nous attachions nos pensées au son des mots, au lieu de les fixer sur les idées constantes et déterminées des choses, ces maximes générales serviront à nous confirmer dans des erreurs ; et selon cette méthode si ordinaire d'employer les mots sans aucun rapport aux choses, elles serviront même à prouver des contradictions. Par exemple, celui qui avec Descartes se forme dans son esprit une idée de ce qu'il appelle corps, comme d'une chose qui n'est qu'étendue, peut démontrer aisément par cette maxime, ce qui est, est, qu'il n'y a point de vide, c'est-à-dire d'espace sans corps. Car l'idée à laquelle il attache le mot de corps n'étant que pure étendue, la connaissance qu'il en déduit, que l'espace ne saurait être sans corps, est certaine. Car il connaît clairement et distinctement sa propre idée d'étendue, et il fait qu'elle est ce qu'elle est, et non une autre idée, quoiqu'elle soit désignée par ces trois noms étenduecorps et espace : trois mots qui signifiant une seule et même idée, peuvent sans doute être affirmés l'un de l'autre avec la même évidence et la même certitude que chacun de ces termes peut être affirmé de soi-même : et il est aussi certain que tandis que je les emploie tous pour signifier une seule et même idée, cette affirmation, le corps est espace, est aussi véritable et aussi identique dans sa signification que celle-ci, le corps est corps l'est tant à l'égard de sa signification qu'à l'égard du son."
Qu'on ne croie pas après cette lecture que Locke est hostile par principe à l'analyse conceptuelle. Au contraire, s'il pense que la morale peut être démonstrative, c'est précisément parce qu'il fait de l'analyse conceptuelle des concepts moraux (que Locke désigne du nom de modes mixtes) le point de départ d'une telle démonstration. En revanche, ce qu'il met ici en relief, c'est que, dès que l'analyse conceptuelle est considérée comme le moyen de connaître la réalité, il suffit qu'elle explicite le contenu de concepts qui ne se réfèrent à aucun objet réel mais que l'analyste croit à tort pouvoir rapporter à des objets réels pour que l'analyse conceptuelle en question, en ne faisant qu'expliciter l'ensemble des idées fausses tenues pour vraies par l'analyste, donne l'impression trompeuse de l'exploration impeccable d'une nécessité logique. La position de Locke peut être présenté ainsi : tant que l'analyse conceptuelle explicite des modes mixtes, elle va au fond des choses puisqu'un mode mixte, comme le concept d'une figure géométrique ou comme ceux de justice ou de triomphe, n'est rien de plus que les idées que l'esprit a combinées entre elles. En revanche si le concept se rapporte à une substance (Locke entend par là une réalité décomposable ultimement en particules physiques) de manière générale comme le concept de corps ou particulière comme celui de soleil, alors l'analyse conceptuelle est tout à fait inutile si l'on recherche non la clarification de ce qu'on a à l'esprit mais la découverte de la réalité.

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