Il m'est arrivé que certains de mes élèves soient transformés par un cours sur la psychanalyse.
Tant qu'ils ne disposaient pas des opinions freudiennes sur l'inconscient, leurs argumentations ayant comme objet l'esprit étaient peut-être laborieuses mais restaient prudentes, appuyées tantôt sur la psychologie commune un peu systématisée, tantôt sur l'introspection un peu rigoureuse.
Mais, après avoir découvert l'existence possible de l'inconscient, là où ils cogitaient humblement, les voilà qui, face à toute énigme relative à l'esprit, triomphants, s'écrient " Bon Dieu ! mais c'est l'inconscient, bien sûr ! "
Finie la recherche personnelle, commence la religion de l'inconscient.
Aussi ai-je lu avec plaisir ces lignes d'´Élie Rabier dans la partie de sa Psychologie où en 1884, donc bien avant le freudisme, il argumente contre l'idée que les phénomènes psychologiques conscients peuvent être aussi inconscients, toutes choses égales par ailleurs :
" L'inconscient n'est qu'un Deus ex machina qu'il est commode de faire intervenir chaque fois qu'on trouve des phénomènes un peu difficiles à expliquer. La philosophie de l'inconscient est en somme une philosophe paresseuse qui coupe court à la recherche de ce que Newton appelle les verae causae, c'est-à-dire des causes dont on peut constater l'existence et déterminer la nature. Autrefois on se dispensait de chercher les causes réelles en rapportant tout à Dieu. La philosophie de l'inconscient suit au fond la même méthode, ce qui lui est d'autant plus facile, que l'inconscient, étant de sa nature indéterminable, ne répugne à rien, se prête à tout et qu'on peut l'invoquer indifféremment à tout propos. Tant vaudrait dire avec les Gnostiques que la raison suprême de tout, c'est l'Abîme et le Silence." (Leçons de philosophie, p.67)
Je n'irai pas jusqu'à soutenir que la philosophie de l'inconscient est paresseuse, mais pour sûr, elle favorise quelquefois la paresse de l'esprit chez qui en prend connaissance.