" Elle avait (...) inventé pour son usage personnel, une méthode originale d ' autopersuasion : elle se répétait que tout être humain reçoit en naissant un corps parmi des millions d ' autres corps prêts à porter, comme si on lui attribuait un logement pareil à des millions d ' autres dans un immense building ; que le corps est donc une chose fortuite et impersonnelle ; rien qu ' un article d ' emprunt et de confection. " ( Milan Kundera, Risibles amours, 1968)
Commentaires
La suite de l'histoire montre l'échec total de cette méthode d'autopersuasion : le jeu de l'auto-stop (l'auteur s'amuse-t-il avec le préfixe « auto- » ?) dont cette jeune fille a d'abord l'initiative tourne très vite pour elle au cauchemar, puisque feignant de devenir pour son jeune amant une parfaite inconnue ou une rencontre de hasard, elle ravive en elle la jalousie de le voir courtiser, puis faire l'amour à une autre femme, celle que précisément elle s'applique à représenter pour lui. C'est d'un autre corps dont il jouit à présent dans une chambre d'hôtel, puisque, par le jeu en question, la jeune fille est dépossédée du sien. Tout cela se termine par les pleurs et des sanglots déchirants pour réclamer piteusement la fin du jeu : « Je suis moi, je suis moi... ».
Cela rappelle par ailleurs le paradoxe du jeu sans fin dans lequel les deux joueurs ont commis l'imprudence de ne pas convenir, AVANT le commencement du jeu, d'un signe sans ambiguïté avertissant l'autre qu'il désire l'interrompre : quand on joue à « faire semblant », et que l'un des deux se lasse du jeu, qu'est-ce qui garantit qu'il ne fait pas semblant de vouloir l'interrompre ? (Voir dans ce sens une scène de Les mains sales de Sartre entre Hugo et Jessica, Troisième tableau, scène I)