À F..., pour ses efforts de résistance !
Il y a peu je réfléchissais sur un certain type de tante, celle qui éclaire sa nièce relativement aux choses de l'amour en vue de lui permettre de ne plus être dominée mais dominante. La tante en question ouvre les yeux de sa parente sur la matérialité des choses, comme le stoïcien le fait mais pas dans le même but. C'est en effet la liberté de l'esprit que le philosophe du Portique vise.
La tante que je présente aujourd'hui est un autre type de tante démystificatrice : vieille fille, elle cherche par la révision à la baisse de l'acte sexuel à ouvrir les yeux pour dégoûter sa nièce. La description n'est plus alors neutre moralement, elle disqualifie ce qu'elle pense être surqualifié.
Cette tante, c'est Jules Romains qui la présente dans le troisième tome des Hommes de bonne volonté : Les amours enfantines (1932) :
La tante que je présente aujourd'hui est un autre type de tante démystificatrice : vieille fille, elle cherche par la révision à la baisse de l'acte sexuel à ouvrir les yeux pour dégoûter sa nièce. La description n'est plus alors neutre moralement, elle disqualifie ce qu'elle pense être surqualifié.
Cette tante, c'est Jules Romains qui la présente dans le troisième tome des Hommes de bonne volonté : Les amours enfantines (1932) :
" (...) Toi, est-ce que tu as jamais eu l'occasion de voir ça de près ?
- Quoi, ma tante ?
- Eh bien ! Les façons des animaux entre eux, des chiens spécialement, les mâles avec les femelles, et tout ce qui s'ensuit. Pourquoi rougis-tu comme une sotte ? Est-ce que tu t'imagines qu'une fille de la campagne ne connaît pas ces affaires-là dans le détail, et rougit quand on en parle devant elle ; et qu'elle en est moins bonne chrétienne, ou moins honnête pour ça ? Au contraire, je prétends, au contraire.
- Elle sembla méditer, puis reprit :
- Le vrai péché, c'est d'idéaliser tout ça. Alors... l'imagination s'excite. Et on se figure que parce qu'on emploie de grands mots, la chose qu'il y a en dessous change de nature. Peuh ! il vaudrait bien mieux avouer franchement que chez les chiens ou chez nous c'est tout à fait pareil. Rien ne m'horripile plus que les tirades sur l'amour." Elle faisait vibrer ironiquement l'l et l'm. " Aujourd'hui, tout de même, on n'ose plus raconter aux filles de ton âge (Jeanne de Saint-Papoul a 19 ans) que le mariage, ça consiste à se bécoter dans un wagon, et à chercher un appartement. Je n'ai pas craint avec toi de mettre quelquefois les points sur les i. Mais je ne suis pourtant pas bien sûre que, toutes jeunes filles modernes que vous vous croyiez, vous vous rendiez compte de ce que c'est au fond, hé oui ! cette fameuse affaire autour de laquelle on tourne tout le temps, pour soi-disant vous en réserver la surprise."
(...) Mademoiselle Bernardine se pencha vers Jeanne, prit l'air de quelqu'un qui va confier le suprême secret ; puis, à mi-voix, en surveillant les portes :
- Hé bien ! tu sais déjà, n'est-ce pas, que l'homme et la femme font quelque chose ensemble ? Ou plutôt que c'est l'homme qui fait quelque chose à la femme . Tu sais de quels organes il s'agit, n'est-ce pas ? Donc il ne t'est pas bien difficile de deviner exactement la vraie nature de l'acte... Ce que l'homme fait à la femme, tu me comprends..." elle parla presque à l'oreille, " ce qu'il fait dans la femme, c'est une ordure. (Les hommes de bonne volonté, Flammarion, volume I, 1954, pp. 383-384)
- Quoi, ma tante ?
- Eh bien ! Les façons des animaux entre eux, des chiens spécialement, les mâles avec les femelles, et tout ce qui s'ensuit. Pourquoi rougis-tu comme une sotte ? Est-ce que tu t'imagines qu'une fille de la campagne ne connaît pas ces affaires-là dans le détail, et rougit quand on en parle devant elle ; et qu'elle en est moins bonne chrétienne, ou moins honnête pour ça ? Au contraire, je prétends, au contraire.
- Elle sembla méditer, puis reprit :
- Le vrai péché, c'est d'idéaliser tout ça. Alors... l'imagination s'excite. Et on se figure que parce qu'on emploie de grands mots, la chose qu'il y a en dessous change de nature. Peuh ! il vaudrait bien mieux avouer franchement que chez les chiens ou chez nous c'est tout à fait pareil. Rien ne m'horripile plus que les tirades sur l'amour." Elle faisait vibrer ironiquement l'l et l'm. " Aujourd'hui, tout de même, on n'ose plus raconter aux filles de ton âge (Jeanne de Saint-Papoul a 19 ans) que le mariage, ça consiste à se bécoter dans un wagon, et à chercher un appartement. Je n'ai pas craint avec toi de mettre quelquefois les points sur les i. Mais je ne suis pourtant pas bien sûre que, toutes jeunes filles modernes que vous vous croyiez, vous vous rendiez compte de ce que c'est au fond, hé oui ! cette fameuse affaire autour de laquelle on tourne tout le temps, pour soi-disant vous en réserver la surprise."
(...) Mademoiselle Bernardine se pencha vers Jeanne, prit l'air de quelqu'un qui va confier le suprême secret ; puis, à mi-voix, en surveillant les portes :
- Hé bien ! tu sais déjà, n'est-ce pas, que l'homme et la femme font quelque chose ensemble ? Ou plutôt que c'est l'homme qui fait quelque chose à la femme . Tu sais de quels organes il s'agit, n'est-ce pas ? Donc il ne t'est pas bien difficile de deviner exactement la vraie nature de l'acte... Ce que l'homme fait à la femme, tu me comprends..." elle parla presque à l'oreille, " ce qu'il fait dans la femme, c'est une ordure. (Les hommes de bonne volonté, Flammarion, volume I, 1954, pp. 383-384)
Bernardine de Saint-Papoul n'est pas plus stoïcienne que la tante imaginée par Maupassant dans la nouvelle à laquelle je faisais plus haut référence. Mais, alors que cette dernière visait par son éclairage matérialiste et nouveau du baiser, à en donner la maîtrise à sa nièce, la tante créée par Jules Romains ne prétend que transmettre à la femme dominée une conscience lucide de la domination.
Commentaires
La tante un peu folle du "Baiser" inaugurait la naissance de la Belle Époque. C'était la fin de l'Ordre moral, avec le retour des républicains au pouvoir. Cette tante incarnait la licence des mœurs du Second Empire. Elle était aussi un peu féministe. Elle était étrangère au débat du baiser sur la bouche qui divisait l'opinion d'alors. Avec Maupassant, on avait un cours de relativisme culturel. Le baiser était l'expression de la sexualité des Romains. Dans la culture africaine, le baiser est pratiqué par les ânes.