En général, vous avez entendu parler de l'inconscient avant de commencer à philosopher. Même si au début l'idée de Freud a été rejetée, en partie parce qu'elle peut être vue comme rabaissante, aujourd'hui elle est entrée dans les opinions toutes faites (attention !) : on pense alors qu'on a un inconscient comme on a un coeur. Assez souvent l'idée plaît parce que ça nous donne de la richesse, de la profondeur, du mystère ; c'est clair en effet que ça aplatit l'esprit si on le réduit à ce dont on a conscience.
Reste que, si on réfléchit un peu, on se demande comment on peut connaître l'inconscient. En effet ce n'est pas une partie du corps ; soi-même, on n'en a pas conscience, quant aux autres, ça va de soi qu'ils n'ont pas conscience du tout de mon esprit ! Alors comment l'a-t-on identifié ?
Freud est parti d'une maladie qu'on appelait autrefois l'hystérie (le terme aujourd'hui est trop dépréciatif, on parle donc désormais de troubles neurologiques fonctionnels), qui est une maladie bizarre, car les hystériques ont des symptômes perturbants, physiques (par exemple, des douleurs, des paralysies, etc.) et/ou psychiques (par exemple, ils perdent des souvenirs, ils ont l'esprit confus, etc.), mais quand on les examine médicalement, ils sont normaux, en particulier leur cerveau fonctionne bien.
Ces symptômes qui font souffrir les patients, n'ont à première vue aucun sens ni pour le patient lui-même, ni pour son entourage. Freud leur en a pourtant donné un en les interprétant comme des expressions de l'inconscient : l'inconscient " parlerait ", enverrait des messages, se manifesterait à travers ces symptômes.
On comprend donc que l'inconscient n'est jamais observé en direct, il est toujours approché, constitué, reconstitué grâce à l'interprétation comme étant ce qui se cache derrière ce qui se montre. Ce qui se montre, ça peut être des symptômes hystériques ou des lapsus ou n'importe quelle conduite involontaire qu'on ne s'explique pas (des paroles incohérentes, des oublis bizarres, etc.).
Mais un problème se pose, voici pourquoi : dans certaines maladies graves du cerveau, les patients ont aussi des symptômes physiques et psychologiques qu'ils ne comprennent pas, mais dans un tel cas, on ne cherche pas de message, on ne cherche pas de signification. On soigne en cherchant les causes physiques de ces symptômes (ça peut être par exemple une tumeur au cerveau) et en intervenant, dans la mesure du possible, sur elles. Bien sûr on sait que, dans le cas de ce qu'on appelait l'hystérie, on ne trouve aucune cause cérébrale ou organique de ces symptômes, mais tout un courant de pensée défend quand même l'idée que les causes sont aussi organiques mais qu'on n'a pas encore les moyens de les identifier. Et donc on inventerait l'inconscient pour " expliquer " quelque chose qui en fait n'aurait pas plus de sens, de signification, de message qu'une tumeur au cerveau et qui serait un jour vraiment expliqué quand on connaîtrait encore mieux le cerveau.
Le problème est donc de savoir si on a raison de parler de l'inconscient en en faisant quelquefois comme une sorte de deuxième personne en nous (" c'est mon inconscient qui me fait faire cela ", dira-t-on) ou si on devrait plutôt chercher à expliquer les symptômes physiques par des causes seulement physiques et les symptômes psychologiques par des causes seulement psychologiques mais sans faire référence à cette réalité assez mystérieuse qu'est l'inconscient.
On comprend pourquoi l'inconscient a une existence discutable, mais voyons tout de même ce qu'il est pour ceux qui croient dans son existence : qu'est-ce qu'il y a dans l'inconscient ? Qu'est-ce qui s'exprime à travers les symptômes, les conduites bizarres qu'on ne peut pas expliquer par nous-même ?
Autrefois on disait qu'il y a des instincts dans l'inconscient, aujourd'hui on parle généralement de pulsions.
Pulsion, c'est la même racine que poussée : dans l'inconscient, quelque chose fait pression, exerce une poussée. On va préciser la nature de ces pulsions en ajoutant l'adjectif que vous devinez sans doute parce que, depuis des décennies, c'est devenu aussi une opinion toute faite (attention !) de caractériser les pulsions par cet adjectif : pulsions sexuelles.
On peut alors s'étonner car on a conscience de la sexualité, de notre sexualité et, en plus, on nous en parle tout le temps sur les réseaux sociaux, dans les journaux, dans les films, etc. Certes, mais dans toutes les sociétés, y compris dans la nôtre, il y a des interdits concernant la sexualité : ils varient selon le temps et l'espace mais il y a toujours des règles (par exemple dans la nôtre, il doit y avoir consentement mutuel entre les partenaires, etc.). Dans la société autrichienne dans laquelle Freud vivait au début du 20ème siècle, les interdits étaient beaucoup plus nombreux que dans la nôtre (par exemple, les jeunes filles devaient arriver vierges au mariage, etc.). Or, qui dit interdit dit répression : interdire quelque chose, c'est empêcher sa réalisation, son existence. Et précisément la pulsion sexuelle est le désir sexuel irréalisable parce qu'interdit dans la société. Elle est donc gardée à l'intérieur, étouffée mais comme la vapeur qui sort un peu de la cocotte-minute, elle s'échappe et se manifeste précisément par ces conduites bizarres, anormales dont on a parlé plus haut.
On voit donc qu' une réflexion sur l'inconscient conduit à une réflexion sur la société : la société, en interdisant certaines conduites jugées immorales, canalise, organise, règle la sexualité. Freud a pensé que la poussée sexuelle, qui ne pouvait pas passer dans les canaux autorisés, prévus par la société, cherchait à passer coûte que coûte par d'autres voies. Vous devinez que Freud a trouvé aussi dans l'inconscient des pulsions agressives, car toute société avec des variations condamne la violence, canalise l'agressivité et réprime ses manifestations jugées immorales.
Mais, si on réfléchit un peu, on se dit : " Mais on est conscient du fait qu'il y a des interdits, des règles et que certains de nos désirs ne peuvent pas être satisfaits ! On appelle cela quelquefois nos fantasmes ! Il n'y a rien d'inconscient ! Et quand on massacre des bonhommes dans les jeux vidéos, on sait bien qu'on ne le ferait jamais dans la réalité, parce que c'est mal ! "
Pour clarifier ce point, nous parlerons la prochaine fois d'une réalité un peu moins connue que celle de l'inconscient, celle du surmoi.
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