Dans Vérité et véracité (2002), Bernard Williams réfléchit aux transformations qu'une population subit au contact des croyances d'une autre. Il défend que ce changement peut être interprété comme " un processus intellectuel d'apprentissage et pas seulement comme le triomphe sociétal d'un style de vie ou d'une organisation sur une autre." Suit alors sans surprise une dénonciation de l'explication relativiste ordinaire d'un tel changement (la population se mettrait à parler comme la population qui l'influence, rien de plus) :
" Un relativisme trivial intervient souvent à cet instant, pour dire que ce qu'ils disent est vrai " pour eux " et que ce que nous disons est vrai "pour nous". Si cela veut dire quelque chose, cela constitue une forme d'interprétation, une forme qui, en particulier, comprend leurs affirmations, et les nôtres de telle façon qu'elles n'impliquent pas des explications qui se contrediraient mutuellement (...) Ce style de relativisme se présente souvent, non sans complaisance, comme une garantie de l'égalité des hommes, un refus d'imposer nos conceptions aux autres, mais, en fait, si tant est qu'il fasse quelque chose, il se contente d'imposer une de nos conceptions plutôt qu'une autre. Il déclare forfait avant que le vrai travail de compréhension des ressemblances et des différences entre les hommes soit même entamé." (Gallimard, 2006, p 72-73)
Or il existe aussi une conception relativiste de la philosophie : selon elle, par exemple Platon n'aurait pas plus, ou moins, raison que Nietzsche ; chaque philosophie formant une totalité auto-suffisante à juger selon ses propres critères internes de vérité et de cohérence, on pourrait seulement affirmer que c'est dans le cadre de la pensée de Platon, Nietzsche, etc. que p est vrai ou non ou que plusieurs propositions sont logiquement compatibles ou non.
Reste que le texte cité, à quelques aménagements près, garde a`mes yeux toute sa force contre cette forme noble de relativisme ou peut-être plus exactement, cette forme vulgaire de relativisme appliquée à un objet noble. Le vrai travail de compréhension commencerait alors quand on chercherait à déterminer dans quelle mesure les philosophes se ressemblent ou diffèrent dans leur connaissance de la réalité.
Certes cela donnerait une histoire de la philosophie que certains jugeraient honteuse, étayant leur condamnation sur l'argument suivant : " il n'existe pas de définition neutre philosophiquement de la réalité et pas plus de connaissance neutre de la réalité " et donc concluant que c'est un philosophe embusqué qui nécessairement se cacherait derrière le prétendu historien non-relativiste.
En fait ce que je viens d'écrire revient finalement à reconnaître une platitude : que le philosophe relativiste ne peut pas accepter une histoire non relativiste de la philosophie. Bien sûr mais rien à craindre de son verdict : il ne peut pas vouloir faire partager universellement les raisons de son refus sans se mettre en contradiction avec lui-même, histoire bien connue, mais, à première vue, pas encore définitivement assimilée.
" Mais assimiler quelque chose définitivement en philosophie, voilà une manière de parler bien scientiste ! " entends-je vociférer.
Reste que le texte cité, à quelques aménagements près, garde a`mes yeux toute sa force contre cette forme noble de relativisme ou peut-être plus exactement, cette forme vulgaire de relativisme appliquée à un objet noble. Le vrai travail de compréhension commencerait alors quand on chercherait à déterminer dans quelle mesure les philosophes se ressemblent ou diffèrent dans leur connaissance de la réalité.
Certes cela donnerait une histoire de la philosophie que certains jugeraient honteuse, étayant leur condamnation sur l'argument suivant : " il n'existe pas de définition neutre philosophiquement de la réalité et pas plus de connaissance neutre de la réalité " et donc concluant que c'est un philosophe embusqué qui nécessairement se cacherait derrière le prétendu historien non-relativiste.
En fait ce que je viens d'écrire revient finalement à reconnaître une platitude : que le philosophe relativiste ne peut pas accepter une histoire non relativiste de la philosophie. Bien sûr mais rien à craindre de son verdict : il ne peut pas vouloir faire partager universellement les raisons de son refus sans se mettre en contradiction avec lui-même, histoire bien connue, mais, à première vue, pas encore définitivement assimilée.
" Mais assimiler quelque chose définitivement en philosophie, voilà une manière de parler bien scientiste ! " entends-je vociférer.
Commentaires
c'est, si je ne m'abuse, exactement le même problème qui se pose à la lecture de Philosophie de l'histoire de la philosophie de Martial Guéroult (ouvrage inachevé paru 3 ans après sa mort, Aubier-Montaigne, 1979). Par exemple, ce passage :« Ils [les systèmes philosophiques] valent, comme ils le prétendent, d’une façon exclusive et absolue, ils sont des vérités totales et non partielles, mais chacun dans sa sphère. Or cette absoluité à l’intérieur d’une sphère propre n’est possible que parce qu’il ne s’agit pas pour chacun d’eux de refléter une réalité qui lui est extérieure, mais de constituer chacun une réalité qui lui est propre et intérieure. » Autrement dit, il n'y a pas de réalité extérieure à laquelle puisse être confronté et jaugé un système philosophique quelconque : le réel étant toujours déjà une image que la pensée s'en forge, l'idée d'une adéquation entre le discours et son objet disparaît d'elle-même. Pour un système philosophique, "avoir une vérité" risque bien de se réduire à "avoir du sens", deux choses fort distinctes, comme chacun l'admettra. Cette discussion, menée par Bouveresse dans le détail, peut être prolongée ici : http://books.openedition.org/cdf/17...