« Il se masturbait constamment en public et disait : « Ah ! si seulement en se frottant aussi le ventre, on pouvait calmer sa faim ! » (VI 69)
L'éloge de la masturbation par Diogène de Sinope va de pair avec une conception de la relation sexuelle comme moyen rapide de satisfaire un besoin naturel. Dans les deux cas, le sage ne fait pas toute une histoire de la sexualité ; il est encore plus loin de justifier l'art de l'amour. Vite fait, bien fait, en somme ! Mais tout cela on le sait déjà.
En revanche je découvre, en lisant Les cités grecques (2015) de Jean-Manuel Roubineau, qu'on peut voir la pratique solitaire du cynique sous un autre jour. Dans le passage consacré à l'étude de la pédérastie comme patronage amoureux, l'historien cherche moins à décrire les pratiques réelles (bien difficiles à connaître) qu'à faire connaître les représentations de ce que doivent être les relations entre l'amant (l'éraste) et l'aimé (l'éromène). C'est dans ce cadre qu'il oppose une sexualité noble à une sexualité que j'appellerais donc ignoble, cette dernière étant attribuée au satyre :
" La masturbation était considérée comme caractéristique des esclaves, et, en contexte iconographique, était prêtée à des personnages grotesques comme les satyres (...) À l'inverse du théâtre comique, l'iconographie de la pédérastie s'emploie à souligner "la noblesse de la relation pédérastique", en adossant les scènes idéalisées de pédérastie aux scènes représentant des comportements sexuels excessifs, déviants : les satyres constituent, de ce point de vue, le parfait contre-modèle de l'idéal pédérastique. les rapports sexuels des satyres ont lieu entre égaux et sous une forme conçue comme dégradante (sodomie, fellation, sexe de groupe ou masturbation). À défaut d'égaux, les satyres copulent avec différentes races animales ou monstrueuses, chevaux, mules, daims, sphinges, ou n'hésitent pas à se soulager en s'aidant d'un col de jarre." (p.288-290)
Faire de la masturbation une pratique cautionnée philosophiquement revient donc à rompre avec la division que la culture grecque a faite entre une sexualité admirable et une autre méprisable. Enlevant tout prix à l'attachement amoureux, le cynisme extrait de l'ensemble des pratiques prohibées par la culture celle qui de toute évidence assure l'autarcie qu'il cherche.
Il ne s'agit pas dans un tel cadre de s'encanailler auprès des prostituées ou de se complaire à une pratique vicieuse. Non, indifférent aux hiérarchies purement conventionnelles et dans une totale indépendance d'esprit par rapport aux croyances collectives, le cynique prélève ce qui, du point de vue de la raison, sert objectivement ses fins éthiques.