samedi 10 août 2019

Greguería n° 112

"El champaña es el agua mineral de los millonarios."
" Le champagne est l'eau minérale des millionnaires."
Héraclite écrivait :

Commentaires

1. Le dimanche 11 août 2019, 12:01 par gerardgrig
Est-ce le goût du paradoxe gratuit ? En principe, on dirait plutôt que l'eau minérale est le champagne du pauvre. Un paradoxe a-t-il toujours un intérêt épistémique ? Un loufoque manierait plutôt l'oxymore, en associant le camembert au Dom Pérignon. Mais n'est-ce pas une façon de rechercher la paix sociale ? On peut s'interroger sur l'analogie du cochon et du millionnaire. Est-il moral de haïr le riche ? Et la saleté du cochon est une invention de l'homme, qui la lui impose, parce qu'il a le préjugé que le cochon est sale. Il y a peut-être un complexe pygmalioniste du cochon, qui est sale parce que l'homme croit qu'il l'est. En tout cas, Malaparte disait que si le chat nous méprise et si le chien nous flagorne, le cochon nous traite comme son égal.
2. Le lundi 12 août 2019, 08:40 par Philalèthe
Dire que l'eau minérale est le champagne du pauvre signifierait autre chose : ça pourrait se dire de l'épicurien qui sait donner du prix aux choses ordinaires.
Quant au rapprochement avec la phrase d'Héraclite, il n' a pas comme fin d'injurier le riche en le traitant de cochon. mais de nourrir une pensée ici sceptique qui met en évidence la relativité du plaisir. Si on veut, on pourrait en tirer une analogie : le rapport du riche au champagne est le même que celui du cochon avec la boue. Ce rapport de familiarité est étrange pour le pauvre (car pour lui le champagne est extraordinaire) et pour qui associe la boue au sale, au répugnant (car alors c'est le rapport avec l'eau pure qui devrait être ordinaire).

vendredi 9 août 2019

Stoïcisme et néo-cortex.

Relisant Proverbes, maximes et émotions de Jon Elster, j'en viens à repenser au stoïcisme. Pourquoi ne peut-on être stoïcien qu'en rêve ? Dit autrement, pourquoi des philosophes stoïciens majeurs comme Sénèque ou Marc-Aurèle ont-ils reconnu qu'il leur restait beaucoup à faire pour devenir des sages ?
Deux explications sont concevables : (1) les conditions pour devenir sage sont difficiles à réunir et (2) devenir sage est humainement impossible.
C'est la deuxième position que les lignes d' Elster favorisent, même ni elles ne mentionnent ni explicitement ni implicitement la philosophie du Portique.
Elster, analysant les causes de l'émotion, reconnaît, comme les Stoïciens l'ont fait aussi, que les émotions dépendent des croyances. C'est ce fait psychologique qui explique l'importance accordée par le stoïcisme au contrôle rationnel des croyances, condition nécessaire du contrôle des émotions. Spinoza a ainsi expliqué que, si on identifie autrui à un être déterminé par ses passions, on ne développe pas vis-à-vis de lui les émotions ressenties quand on le juge libre. Cette leçon demeure bonne à prendre assurément.
Néanmoins le hic est, comme l'explique Elster en s'appuyant sur les recherches de Joseph LeDoux (The emotional brain, 1996), que le chemin qui va de la perception à l'émotion ne passe pas toujours par le néo-cortex, siège de la raison, pour faire vite. En effet il est quelquefois direct, du thalamus à l'amygdale. Alors on prend par exemple le simple bâton pour un dangereux serpent. Au sens strict, on n'a pas jugé que c'était un serpent... LeDoux assurait que cette réaction est avantageuse sélectivement : " il est préférable de répondre aux événements potentiellement dangereux comme si ils étaient en fait la réalité, plutôt que de ne pas leur répondre." (Proverbes, maximes et émotions, p. 15).
En tout cas, il semblerait que le stoïcisme n'ait pris en compte que le chemin thalamus-néo-cortex-amygdale. L'autre chemin a des effets que le stoïcisme aurait donc interprétés à tort comme accidentels et évitables, indice seulement d'un manque de maîtrise de soi, non d'une structure essentielle de l'être humain.
Jonathan Haidt dans son excellent livre, The happiness hypothesis. Finding modern truth in ancien wisdom (2006), écrivait :
" Le système contrôlé peut difficilement vaincre le système automatique par le simple pouvoir de la volonté. Le premier est comme un muscle : il se fatigue, s'épuise, et cède. Le second continue automatiquement sans effort et sans fin. Lorsqu'on a compris le pouvoir du contrôle par les stimuli, on peut l'utiliser à notre avantage. On peut changer les stimuli dans notre envirionnement et éviter ceux qui sont indésirables, ou, si ce n'est pas possible, penser à leurs côtés les plus désagréables." (traduction française, p.33)
Dit autrement, c'est sage d'aller se promener dans les endroits où on sait qu'il n'y a pas de serpents. Certes Haidt évoque aussi ce que Sandrine Alexandre a appelé la redescription dégradante mais cette redecription du stimulus dérangeant est beaucoup moins sûre que le simple évitement... La raison en est peut-être qu'on n'y croit pas vraiment : on se la dit, on aimerait y croire...

jeudi 8 août 2019

Greguería n° 110

" El filósofo es un caza moscas perpetuo."
" Le philosophe est un tue-mouche perpétuel."

mercredi 7 août 2019

Greguería n° 109

"La mosca en el cristal sueña que vuela en cielos más altos."
" La mouche sur la vitre rêve qu'elle vole haut dans le ciel."
Nietzsche écrivait :
" Si nous pouvions comprendre la mouche, nous nous apercevrions (...) qu'elle sent avec elle voler le centre du monde" (Écrits posthumes, 1870-1873, Gallimard, p.277)

Commentaires

1. Le mercredi 7 août 2019, 20:04 par gerardgrig
En réalité, si l'on continuait l'humanisation de la mouche, on pourrait dire qu'elle est une rêveuse non réalisatrice. Quand on lui ouvre la fenêtre, elle ira partout, animée d'un mouvement brownien, mais elle ne sortira jamais par la fenêtre ouverte. Quant à Nietzsche, il avait une méthode zen contre la transcendance. Il suffit de penser très fort que l'on est une mouche dans le monde.
2. Le mercredi 7 août 2019, 23:35 par Philalèthe
Si la mouche ramonienne n'a pas conscience de rêver, si  en somme elle est dans l'illusion autant que la mouche nietzschéenne, c'est normal qu'elle ne sorte pas ! Par cela même, elle tient du prisonnier de la caverne platonicienne qui ne veut pas monter...

mardi 6 août 2019

Greguería n° 108

"Era tan exquisita y tan poderosa, que se mandaba hacer los sueños a su gusto y medida."
" Elle était si délicieuse et si puissante qu'on lui commandait des rêves selon ses goûts et sur mesure."

lundi 5 août 2019

Greguería n° 107

" Cuando en trenes o barcos nos llaman "pasajeros" sentimos la tristeza de la efemeridad."
" Quand, dans les trains ou les bateaux, on nous appelle des " passagers ", nous ressentons la tristesse de l'éphémère."

Commentaires

1. Le lundi 5 août 2019, 14:05 par gerardgrig
S'il y a effectivement tristesse de l'éphémère, chez Ramón elle est vite remplacée par la joie d'avoir trouvé une belle métaphore existentielle, qui arrive comme le soleil après la pluie. Chacun sait gérer ses affects intuitivement, sans le secours de personne. Et il y a toute une stratégie plus ou moins consciente de l'écrivain afin de provoquer ou repérer, et utiliser, les opportunités fécondes de la vie pour son œuvre.
2. Le mardi 6 août 2019, 08:08 par Philalèthe
Il a aussi le sens du possible, ici les sens possibles du mot en dehors de son contexte d'utilisation. Il y a eu quelque chose de cela dans le cynisme ancien : ne pas accepter l'usage avait pour conséquence entre autres de vouloir ne pas comprendre dans un mot ce que tout le monde comprend. 

dimanche 4 août 2019

Greguería n° 106

" La esposa de Hércules es la plisadora de los cierres metálicos."
" L'épouse d'Hercule est la plisseuse des rideaux de fer."

Commentaires

1. Le dimanche 4 août 2019, 20:28 par gerardgrig
Dans cette gregueria, Ramón manie l'humour potachique et anachronique, peut-être pataphysique, à partir de la mythologie. L'inventrice de la persienne, ou jalousie, qui permet de voir sans être vue, mais qui était plutôt composée de roseaux dans l'Antiquité, ne pouvait être que Déjanire, la femme d'Hercule qui est le parangon de... la jalousie féminine ! Ramón a une vision écologique, selon laquelle il ne faut jamais rien perdre et tout recycler : la citation découpée dans un bout de journal, la blague de comptoir (le coup de fil du masochiste dans la gregueria 44) ou de pensionnat, comme ici.
2. Le mardi 6 août 2019, 08:18 par Philalèthe
Ramón aime bien introduire les personnages mythologiques dans le monde d'aujourd'hui. Ainsi dans cette greguería où la science, loin de désenchanter le monde, permet d'observer de plus près les populations imaginaires de l'Antiquité :
" Los astrónomos ven cómo se peina Venus y cómo tal lucero se hace el lazo de la corbata."
" Les astronautes voient comment se peigne Vénus et comment telle étoile fait son noeud de cravate."

samedi 3 août 2019

Greguería n° 105

" Debía de haber unos gemelos de oler para percibir el perfume de los jardines lejanos."
" Il devrait y avoir des jumelles d'odorat pour percevoir le parfum des jardins lointains."

vendredi 2 août 2019

Greguería n° 104

" La mano femenina enguantada con guante de malla o de encaje se ofrece hipotéticamente como pescada en su propia red."
" La main de la femme, gantée dans un gant de tricot ou de dentelle, s'offre éventuellement comme pêchée dans son propre filet."

jeudi 1 août 2019

Greguería n° 103

" La salsera para vinagretas y mayonesas es el único recuerdo que queda de las lámparas antiguas que mantuvieron encendidas las vírgenes sabias."
" La saucière pour vinaigrettes et mayonnaises est le seul souvenir qui reste des lampes antiques que les vierges sages maintenaient allumées."