Je dois à la lecture du très instructif livre de Claude Romano Être soi-même. Une autre histoire de la philosophie (Folio-Essais, 2019) ces quelques lignes de Jean-Jacques Rousseau, tirées de la sixième Lettre morale :
" Quand je vois chacun de nous sans cesse occupé de l'opinion publique étendre pour ainsi dire son existence tout autour de lui sans en réserver presque rien dans son propre coeur, je crois voir un petit insecte former de sa substance une grande toile par laquelle seule il paraît sensible tandis qu'on le croirait mort dans son trou. La vanité de l'homme est la toile d'araignée qu'il tend sur ce qui l'entoure. L'une est plus solide que l'autre, le moindre fil qu'on touche met l'insecte en mouvement, et si d'un doigt on la déchire il achève de s'épuiser plutôt que de ne pas la refaire à 'instant."
En permettant d'étendre notre toile au point de vibrer à des chocs infinitésimaux venus quelquefois de contrées lointaines et très étrangères, la technique nous fait frissonner ou sursauter, voire même trembler.
Malheureusement je ne partage pas la confiance de Rousseau dans la valeur de l'alternative qu'il propose, c'est-à-dire le repli sur le Moi...
Au fait la langue espagnole offre un joli verbe pour décrire ce retour à soi : ensimismarse. Je ne trouve ni en français, ni en anglais, ni en allemand un mot étymologiquement identique. Le néologisme le plus fidèle serait " s'ensoimêmer " !
À défaut de pouvoir " redevenir nous ", de pouvoir " nous concentrer en nous ", comme le demande Rousseau dans cette même lettre, il est peut-être sage de savoir contrôler l'ampleur, comme la position, de notre inévitable toile.